(Eneko) Just a feeling I've got

Eneko se laisse tomber en arrière, doucement, sans prononcer un mot, en écoutant sa demande, ce dont elle a besoin. Il l’encercle de ses bras, resserre tendrement son étreinte. Il ne veut pas qu’elle s’éloigne, pas comme ça. Il se connait, il ira la retrouver sur le canapé si elle lui échappait, pour la ramener contre lui, alors il se tait, ne s’attarde plus sur ce sujet qui lui déchire le cœur. Il profite de son corps qu’il sent contre lui, autant qu’il peut, comme si c’était la dernière fois qu’il avait l’occasion de la tenir de la sorte, alors qu’il n’en a pas envie. S’il pouvait changer quelque chose, il le ferait. Il supprimerait leur lien de sang. Ou peut-être le fait d’avoir aperçu ce détail dans son dossier. De s’y être attardé, tout simplement, d’avoir parcouru les lignes qui ont rendu son cœur aussi lourd qu’il ne l’est maintenant. Il a l’impression qu’il s’est arrêté de battre en même temps qu’il s’est pris en pleine face la vérité. Et il n’arrive même pas à en vouloir à leur mère tant il se sent vidé de toute son énergie. « D’accord. Très bien. » souffle-t-il, en caressant ses cheveux. « On n’en parle plus. » Pas pour le moment. Peut-être plus tard. Revivre un instant pareil lui fend le cœur. Refaire face à Maona, dans cet état, à cause d’une possible d’une séparation, Eneko essaie de ne plus y penser, de mettre cette possibilité dans un coin de sa tête et se contente de lui donner de l’affection, ce dont elle a besoin. Il dépose un baiser sur sa tempe et glisse sa main le long de son dos, puis passe une jambe au-dessus de la sienne. « Je ne te l’ai pas encore dit, mais les clients exigeants dont je t’avais parlé, avec qui Gaël et moi avons eu plusieurs rendez-vous… Ils ont signé le contrat aujourd’hui. » C’est une bonne nouvelle, bien qu’elle ne lui fasse pas tant plaisir que ça, finalement, mais il l’annonce, parce qu’elle lui a demandé de faire comme si tout allait bien et en temps normal, c’est quelque chose qui lui aurait fait plaisir, à un point où il aurait été très difficile de le rendre maussade, mais là, il s’en fiche complètement. Ca n’a pas plus d’importance que ce qui se passe actuellement, sauf qu’il essaie de lui donner des choses positives de la journée, qui n’ont rien à voir avec eux, avec leur mère, parce qu’il n’y a qu’ailleurs que ça va bien. « On pense de plus en plus à installer une mini-agence à Bayonne, aussi. Grossir l’entreprise. » Même si c’est un projet qui reste suspendu pour le moment. Le fait est qu’Anna n’a toujours pas décidé de signer les papiers, elle ne lui a pas donné de réponse. Il ne veut pas la presser, pas encore, mais il pensera à lui envoyer un message en début de semaine prochaine. Gaël l’a plusieurs fois rassuré sur le fait qu’elle ne sera pas assez mauvaise pour lui supprimer son bien, mais lui n’en sait rien et au fond, ça l’importe peu pour le moment.

Lui n’était sûr de rien. Il essayait de leur convenir, est revenu sur ses croquis, ses plans, avec Gaël qui a mis la main et la patte et certaines autres personnes qui ont durement travaillé, pendant des heures. Il n’a même pas pris le temps de les remercier, la tête ailleurs, mais maintenant qu’il y pense, il le fera le lendemain. Parce que c’est important, qu’il n’a pas le droit de les laisser de côté parce que sa vie personnelle va mal. « Tu sais, ça faisait des mois qu’on travaillait avec eux… On était trop concerné pour être aussi sûrs que toi. » dit-il, en arborant un faible sourire. Elle croit en lui, en eux, c’est tout ce qu’il voit. Là encore, ça devrait lui faire plaisir, il essaie de se contenter de ça, il le fait, en apparence, en élargissant son sourire lorsqu’elle lui demande confirmation pour son projet. « Oui. C’est en cours de discussion, encore, mais… Il est possible que ça se fasse cette année. Du moins, que le lancement des travaux soit lancé cet été, ou automne, on ne sait pas vraiment encore. » qu’il précise, en se redressant, appuyé sur son coude. Il effleure du bout des doigts sa colonne vertébrale, remonte jusqu’à son cou et passe sa main dans ses longs cheveux. « Je vais te montrer. » Eneko se lève, attrape sa main dans la sienne et la ramène contre lui, en marchant jusqu’au couloir. Parfois, il jette quelques regards vers Maona, torturé de la voir si mal. Faire semblant n’est pas suffisant, il le sait très bien, mais Eneko a au moins espoir que ça suffise pour cette nuit, que ça l’aide à se poser un peu. Il s’arrête face aux toilettes qu’il lui indique d’un signe de tête. « Je t’attends dans la chambre. Je t’apporte un verre d’eau. » Par nécessité, pour alléger son cœur, il se penche vers son visage et tire sur sa lèvre inférieure, qu’il embrasse très furtivement, avec une douceur extrême. Un court baiser qui lui resserre le cœur. Un baiser qui ne change rien au vide qu’il ressent. Mais un contact dont il avait besoin malgré tout. « A tout de suite. » Il s’éloigne, part récupérer un verre d’eau et cherche ensuite dans l’armoire à pharmacie de la salle de bain, de l’aspirine, plus pour le lendemain. Elle en aura besoin pour se réveiller et faire face à la gueule de bois. Eneko ne sait même pas si elle se souviendra de tout ce qui s’est passé, de tout ce qu’ils se sont dit… Peut-être même qu’elle omettra certains détails, volontairement. Trop douloureux pour s’en rappeler. Il n’en sait trop rien, mais chose est sûre, c’est qu’il aimerait pouvoir l’épauler au mieux… Il sait que trop bien qu’on ne peut pas toujours avoir ce qu’on désire. Eneko referme l’armoire, tombe sur son reflet qu’il observe quelques secondes. Ses traits sont tirés, bien plus que d’habitude. La fatigue, certainement. Il se passe un coup d’eau sur le visage et revient dans la chambre, pose le verre sur la table de chevet, du côté de Maona.

Lorsque Maona se place juste derrière lui, qu’il sent ses bras autour de lui, Eneko se détend un peu, respire plus calmement. Il était si tendu jusque-là qu’il ne s’était même pas rendu compte que son corps entier était crispé. Ses jambes se détendent, ses bras aussi. Sa main se pose sur les siennes, alors qu’il penche doucement la tête en avant, écoutant la respiration de Maona, profitant de ces quelques minutes de silence, pendant lesquelles il essaie de se vider l’esprit tout entier. Il caresse ses mains avec tendresse, lui étant reconnaissant de le prendre dans ses bras de la sorte. Il avait besoin de ça, finalement, qu’on le prenne dans ses bras, mais il n’en avait pas conscience et même si c’était le cas, il ne l’aurait jamais dit. Parce que de ce point de vue, un Eneko ne demande pas ça. Même s’il n’en a pas envie, il acquiesce d’un signe de la tête, attrape doucement ses jambes pour qu’elle s’allonge, à son tour, qu’elle soit couverte des draps, de la couette et pose sa tête au-dessous de sa poitrine, l’entourant d’un bras, tandis que de son autre main, il lie la sienne, entrelace leurs doigts. Une jambe trouve refuge entre les siennes, douces. Sa peau est plus fraiche que la sienne, mais ça lui fait du bien, ça le change de sa chaleur étouffante. Eneko met un certain temps à ne plus observer le mur blanc, se laisse emporter par le sommeil qui arrive. La fatigue, les nerfs, tout tombe en même temps que la tension retombe définitivement et il s’endort, contre elle, avec une boule au ventre malgré tout, l’appréhension du lendemain, de se lever, de ne plus la voir, ou de la voir de nouveau avec cette moue triste, torturée, même quand elle est endormie. Il aimerait rester indéfiniment dans cette position, à ne rien faire, rien dire, avec sa tête collée contre elle. S’il pouvait arrêter le temps, il le ferait. Parce que d’ici les prochains jours, le « nous » auquel il s’était habitué n’existera peut-être plus, tout comme les projets qu’il avait commencé à envisager et qui s’envoleront en même temps que le peu d’espoir qui lui reste.