l'arrestation.

depuis jours, semaines. tu n'es pas revenue depuis longtemps. tu réapprends à découvrir la ville, biarritz. tu y as pourtant longtemps vécue. plusieurs années, presque quatre. c'est beaucoup pour toi. et ton original rythme de vie. ton âme de voyageuse, instable et peu capable de rester plus d'une année consécutive au sein d'un même endroit. mais tu es là. parce que tu en éprouvais le besoin. l'irrésistible envie. de retrouver cette ville, cette atmosphère. et probablement pour le retrouver, lui. inconsciemment. pas à un seul instant tu t'es dis que tu voulais retourner à biarritz pour retrouver numa. non. ce n'était pas ton objectif. mais tu es là. tu es là et ton coeur possède cette plaie ouverte. un brin inconsolable. tu es perdue. tu n'arrives pas à comprendre ce qui se passe dans ton organisme. et puis ce soir, tu es là. tu marches. tu traînes. tu déambules. toujours autant émerveillée par la beauté de cette ville. sa singularité. unique. authentique. tu t'y sens bien. chez toi. tu marches. marches. marches encore. jusqu'à tomber devant le caveau. tu es seule, mais tu as besoin de t'enivrer. une soudaine envie. alors tu entres. sans savoir à dans quoi tu t'engages. bien évidemment, tu ne te sens pas à ta place. qu'importe. tu t'approches du bar, glissant tes mains sur le comptoir. et là. y'a ton regard qui croise celui de simon. y'a ton pouls qui s’accélère. ton ventre qui se noue. inévitable étape. en quittant biarritz, tu n'as pas uniquement laissé l'amour derrière toi. t'as également envoyé valsé l'ensemble de tes amitiés. simon, c'est ce mec qui tu as toujours apprécié. l'ami de numa. ce mec bien. qui dois probablement t'en vouloir. lui aussi. c'est normal. humain. tu n'as pas envie de le combattre. mais tu dois assumer. comme tu l'as fais avec numa. alors tu prends une profonde inspiration. et tu te lances. non, tu ne rêves pas, c'est bien moi.

Y a quelque chose, dans l’air, qui traîne, qui sent pas bon et qui annonce fatalement qu’un truc peu agréable va se produire. Il est pas voyant, se considère pas doué de capacité médiumnique, ni d’être le descendant direct d’Augustin Lesage, dont il a lu le nom quelque part dans un article bidon sur le paranormal.. Mais le fait est que quand Simon a ce sentiment, très étrange, qu’un truc bien foireux va lui tomber sur le coin de la gueule, généralement il est pas déçu. Paraîtrait que ça s’appelle la Loi de Murphy, encore une occasion en or pour pourrir une génération entière de pauvre gamin affublé de ce prénom, qui veut que si merde il doit y avoir, alors merde il y aura. Ça lui a fait le même effet, quand il avait quatre ans, avant que sa mère revienne de l’hôpital, son ventre légèrement moins rond et un marmot dans ses bras qui braillaient. Comme quoi, son instinct le trompe rarement, même si avec le temps son radar s’est un peu rouillé. L’air de rien, ça le chiffonne et c’est le coeur un peu lourd qu’il se retrouve au travail, derrière le comptoir, à supporter les jérémiades des badauds qui viennent se noyer au fond des verres qu’il sert, qu’il taxe et dont il retire un bénéfice; parce que les ploucs aiment donner un pourboire au pauvre con qui doit saigner des oreilles en les écoutant raconter leurs déboires. Concrètement, Simon il s’en fout de leurs vies minables, pas qu’il soit un égoïste sans états d’âme ni sensibilité, mais c’est toujours le même refrain et, à force, ça finit vite par le gonfler. On lui parle d’une fille, toujours la même, ce genre de nana qui vous ensorcèle et qui finit, comme chaque fois, par vous vider les poches et vous briser le coeur, vous abandonnant avec votre solitude et une fierté que vous avez fait tomber dans la poubelle. Et un shot de plus pour le dépressif du bout, plaqué devant l’autel et une bière supplémentaire pour le macho qui comprend pas que les femmes le plaquent, agacée qu’il soit plus affectueux envers ses abdos que ses copines. Ce qu’ils sont cons, quand même. On a beau reproché à Simon de pas avoir de relations longues, ou de relation tout court, il a au moins le bénéfice de pas se retrouver avec une main devant et une main derrière après s’être fait dépouiller et de son amour-propre et de son coeur. Il a vu l’effet que ça avait sur Numa, ça lui a bien servi d’exemple à pas reproduire. De toute façon, il est déjà bien incapable de garder un colocataire, alors une nana. « J’vous sers quoi ? » Son regard s’arrête seulement sur les deux mains qui se posent sur le comptoir, alors qu’il pose déjà les siennes sur un verre et une bouteille au hasard. Les filles boivent toujours la même chose, comme si y avait un accord tacite de la gente féminine pour n’aimer se bousiller les riens qu’avec le même alcool de merde. Et puis il sait pas pourquoi, mais son regard se relève un peu et se pose sur un visage. Ce visage. La loi de Murphy, merde. Il se prend sa moue hésitante comme une gifle et se contente de la dévisager comme s’il faisait face à un revenant ou, pire, à une ancienne conquête qui serait revenue pour lui apprendre qu’il était père d’un petit Robert, quatre ans.. Il s’éparpille un peu, mentalement, son esprit qui galope loin, très loin, vers des contrés fumeuses de souvenirs hasardeux et son coeur se serre. Merde, est-ce que Numa le sait ? Il doit avoir l’air franchement con, parce qu’elle finit par briser le silence et Simon se contente de continuer à la fixer, en se disant peut être que s’il cligne des yeux, elle disparaîtra d’un coup. Ça serait pas la première fois. « Bha merde alors.. Moi qui pensais qu’après tout ce temps de silence, j’allais finir par recevoir faire-part de décès, ou une connerie dans le genre. » Le ton est un peu sec, mais il peut pas faire mieux, Simon; c’est clairement un fantôme qu’il a sous les yeux.

Il est pas forcément mauvais. C’est clair que Simon est pas franchement le mec le plus agréable du coin, surtout quand il a pas sa dose de café le matin ou qu’il a perdu une énième chaussette dans le tambour de la machine, mais il fait des efforts, des vrais, qui l’épuisent constamment. Son frère est là pour constamment lui rappeler quand il se comporte comme un abruti et il peut compter sur les copains pour lui botter le derrière, sauf Hakeem parce que lui, il aurait plutôt tendance à exacerber ce côté un peu mesquin de sa personnalité. Mais en règle générale, Simon essaie de s’améliorer, tous les jours, le seul problème c’est qu’il aime pas être acculé. Les compromis forcés, les ultimatums et ces conneries où on l’oblige à choisir, à se décider alors qu’il a pas envie de tranche, ça le met de mauvaise humeur et c’est un peu ce qui est en train de lui arriver alors que son regard se pose sur le visage de Lia. En se présentant là, comme ça, devant lui sans s’être annoncée avant, elle lui a pas laissé le choix ni de l’accueillir à bras ouvert ni de l’envoyer chier en claquant la porte. Il est obligé de faire bonne figure, parce qu’elle est une cliente, mais qu’elle est aussi un membre de sa famille, du moins elle l’était. Alors Simon grimace, boudeur et blessé, les nerfs à vif alors qu’un autre client l’interpelle pour une commande, qu’il a envie, soudainement, de lui balancer à la gueule, la sienne et celle de Lia aussi, histoire de faire d’une pierre deux coups. Il est rancunier, il y peut rien, c’est dans ses gènes probablement, le côté nordiste sans doute. Le dos tourné, lui offrant le temps de respirer longuement, pour attraper une bouteille et servir les deux verres qu’on lui demande, Simon est, malheureusement, vite obligé de refaire face à la jeune femme, regrettant presque que son collègue ne soit pas revenu de sa pause, encore. Son torchon sur l’épaule, il frotte son comptoir pendant quelques secondes, avant de lever, à nouveau, ses yeux orageux sur elle. C’est une blague, non? Ça y ressemble en tout cas et, pendant un instant, il a bien envie de rire mais devant le sérieux qu’elle affiche sur ses traits, Simon s’arrête de sourire comme un abruti. « Tu te faisais chier dans ton trou de souris ? » Il peut pas s’empêcher d’être méchant, pour son propre ego et, plus encore, pour protéger Numa, probablement. « J’ai pas trop l’choix, non ? C’mon taff. Et avec ce rhum j’te mets quoi, à part ma main dans ta gueule, parce que j’suis pas comme ça.. » Il roule des yeux, sort la bouteille et le verre, qu’il pose sans ménagement sur le comptoir, manquant de le briser. « Par contre, tu comprendras que j’peux pas t’le mettre sur la maison. hein. Y a le prix à payer. » A ce stade-là, y a même pas besoin de se la jouer finaud, avec ses répliques à deux balles, son regard assassin en dit long sur ce qu’il pense et, pourtant.. Pourtant.. La revoir là, c’est quand même chouette, mais rancune oblige, Simon tient son rôle de l’enfoiré notoire.

Elle parle pas ou, plutôt, elle dit pas grand chose et, quelque part, c’est ça qui le rend dingue. Il se rend pas forcément compte qu’il l’en empêche, parce que pour une fois, Simon est pris par surprise alors il a pas ce calme olympien qui le caractérise la plupart du temps et permet, généralement, de régler les conflits sans employer la violence. Mais là, ça le touche de trop près, trop brutalement et il a pas le temps de connecter ses neurones comme il faut pour digérer l’information, pour se montrer sympa comme on voudrait qu’il doit. Elle parle pas. Bordel, elle dit rien de profond, elle se défend pas comme il voudrait, elle lui dit même pas de la boucler pour pouvoir en glisser une. Elle dit rien et ça, Simon, ça le rend un peu barge parce qu’il a l’impression que c’est pas la Lia de ses souvenirs, ou peut être qu’il l’a un peu idéalisé pendant son absence et que maintenant que la version originale lui fait face, il est déçu du résultat. « Tu peux garder ton fric. » Il lui rend la différence, plus par fierté et ego démesuré qu’autre chose, parce qu’il l’aurait pris son argent, si ça pouvait l’aider à lui pardonner plus vite; il a la rancune tenace, l’enfoiré. Parce que ses mains tremblent, qu’il a du mal à le cacher, Simon hausse les épaules et se retourne, lui montrant son dos à défaut de sa gueule barbue déformée par une moue agacée. Il fait croire qu’il est occupé, qu’il a autre chose à foutre que de l’écouter ou de la voir et quelque part il est perdu. Il sait pas s’il voudrait qu’elle reparte là, maintenant, ou qu’elle reste et attende qu’il arrête de faire le con. « Ouais.. Désolée pour.. t’être barré sans le dire à personne, ou avoir jeté Numa comme la pire merde qui soit ? Simon finit par se retourner, pour la regarder dans les yeux. Parce qu’à la limite, la première solution, je pourrais pardonner facilement. J’sais ce que c’est de devoir bouger. En revanche, blesser quelqu’un pour le plaisir de le blesser, j’vois pas.. » Il souffle, baisse le menton et range la bouteille sous le bar. « Bha non, tu peux pas t’imaginer non.. Vu qu’on a plus eu de nouvelles.. Que j’en ai plus eu et que je savais pas comment faire pour te contacter. C’est con. » Et là, il peut pas mentir. Il peut pas tricher et se faire passer pour l’enfoiré, parce que son regard triste laisse apparaître l’ami bafoué, le mec paumé qui a du soigner Numa et son coeur tout abimé, sans aucunes nouvelles de ce qu’il pensait être une amie. Il devait se planter, sans doute.

« Oui, c’est ce que je crois. » Réponse sans appel, pupille stable, regard droit et traits du visage déformés en une expression qui témoigne de la sincérité de sa confession. Lia était sans doute sa préférée du groupe, pour ce qu’elle amenait, pour ce qu’elle faisait de Numa et c’est sans doute pour ça qu’il a autant de mal avec sa présence, avec le pardon. Parce que la douleur de son ami il l’a vécu comme si elle était sienne et pendant des mois, Simon a souffert pour le Favre, par lui aussi, s’est bouffé les ongles, s’est rongé le sang et s’est bousillé à force d’essayer de pas trop en vouloir. La fautive est toute trouvée, elle est là, sous son nez, à essayer d’agir comme si c’était normal, à lui refiler la monnaie comme pour acheter sa tendresse qu’il a troqué pour de l’amertume. « Je crois que tu te mens à toi-même, t’as juste fais ton égoïste ! J’y crois pas à ton excuse de lui mentir par amour. Et si t’y crois, toi-même, c’est que t’es encore plus hypocrite que je le pensais. » Ça l’agace, alors il s’occupe les mains en rangeant des verres, en s’en vidant un, remplit d’eau, dans le gosier avant de le jeter, un peu énervé, dans la poubelle sous le comptoir. La colère lui grille les neurones et lui tétanise les muscles, alors qu’il pose les mains à plat, à son tour, sur le bar en la dévisageant fermement, sans ciller. « Je sais pas à quoi tu pensais, mais certainement pas à Numa. Me fais pas croire ça. C’était pour toi, que tu lui as brisé le coeur, dans quel but ? J’en sais rien, ça je pense qu’y a que toi qui peut le savoir, mais essaie pas de me faire gober des conneries pareilles! » Et cette fois, c’est Simon qui éclate de rire, jaune, se plaquant les paumes de mains sur les paupières avant de souffler, reculant pour essayer de reprendre son calme, laissant son collègue servir le client qui s’approche du bar. Visiblement, l’altercation n’échappe pas aux curieux, ni aux habitués, qui tendent l’oreille pour comprendre la raison de l’embrouille, mais y a qu’eux qui savent, y a qu’eux qui comprennent de quoi il s’agit même si Simon se fait l’effet d’être le seul à voir la vérité. Ou, plutôt, celle qui l’arrange pour donner à Lia le mauvais rôle. « T’es quand même pas assez conne pour croire à ces mièvreries de séries télés pour adolescentes bourrées d’hormones. Mentir pour guérir, t’es sérieuse ? Il secoue la tête, visiblement pas prêt à gober ces conneries. Tu dois pas en regarder assez, parce que tu saurais que c’est absolument ridicule, que ça sert à rien. » Il souffle, un coup, se pince l’arrête du nez avant de poser sa main près de la sienne, ses doigts qui effleurent les siens comme quand ils étaient encore de bons amis, geste qu’il stoppe en s’en rendant compte, agacé par ses habitudes. « Que tu partes à Dubaï, on l’aurait compris ça, t’avais peut être pas le choix. Mais de lui mentir, c’est là que tu pouvais choisir. Tu crois quoi ? Qu’il aurait pas supporté la distance ? Au pire ça aurait fait quoi ? Vous auriez eu une relation à distance de quelques semaines, un mois max, puis vous vous seriez lassé probablement et il aurait fait son deuil normalement, au lieu de se culpabiliser, de croire que le problème venait de lui. Il plante son regard dans le sien. J’espère au moins que ça t’a apporté quelque chose, de mentir comme une arracheuse de dent. »