(Eneko) qui est-ce

« Tiens. » Eneko prend ce qu’Anna lui tend. Des papiers. Et c’est la surprise lorsqu’il constate que ce sont ceux du divorce, avec deux signatures, dont celle d’Anna, celle qu’elle a refusé d’apposer depuis de nombreux mois. Il s’est passé quelque chose, il le sait, il le sent. Cameron est passé la voir et lui a dit des choses assez convaincantes pour qu’elle signe, pour qu’elle accepte de se séparer. Ca devrait lui faire plaisir, le soulager, mais il n’en est rien. Il appréhende. Il ne sait pas ce qui s’est passé et son ignorance l’énerve. Anna a l’air bien plus effacé que la dernière fois qu’elle s’est présentée à lui, où elle était bien plus sûre d’elle, ou elle continuait à se battre pour lui, pour eux et pas qu’il aimerait que ça continue, au contraire, mais ça l’inquiète d’abdiquer si facilement. Il ne peut pas prendre la paperasse et partir comme ça, sans comprendre. « Tu as eu la visite de Cameron ? » Eneko ne passe pas par quatre chemins. Il pose la question, l’interroge en espérant qu’elle lui réponde, mais elle reste silencieuse. « Anna. » Ce prénom, il le prononce avec fermeté, mais ça ne change rien. « Tu as ce que tu voulais Eneko, c’est tout ce qui compte. » Il s’avance vers elle, pose une main sur son épaule et la force à le regarder. « Si c’est de lui que tu as peur, s’il t’a dit quelque chose, ou fait, il faut que tu m’en parles. » Le courant passait plus ou moins bien entre eux, même s’il sait à présent que tout ceci n’était qu’apparence du côté de son beau-père. Il n’a jamais aimé Anna. Il ne l’a jamais apprécié à cause du fait qu’elle le volait à lui, qu’elle lui permettait de se faire de nouveaux souvenirs, remplaçant les siens, bien que ce soit malheureusement impossible. Anna détourne les yeux. « S’il te plaît, arrête. Bientôt tu pourras reprendre ta vie où elle s’est arrêtée. Et aujourd’hui, nous ne sommes plus ensemble. Je te laisse te charger des formalités. » Il y a un truc qui cloche et elle ne veut pas lui en parler. Une boule se forme au creux de son estomac. « Anna… Parle-moi. » Son silence l’insupporte. Il s’avance de nouveau, mais elle le repousse. « Stop. Ne prends pas soin de moi, tu n’as plus le droit de faire ça. » Plus doucement, elle demande : « Je t’en prie Eneko, ne cherche pas à comprendre. » qu’elle lui souffle, un regard suppliant, en s’approchant de la porte de son bureau. Un dernier regard, puis elle disparaît, le laissant comme ça, sans aucune réponse. Cameron a fait quelque chose. Cette pensée tourne en boucle dans sa tête, alors qu’il attrape son portable qui a sonné il y a quelques minutes, quand il s’apprêtait à partir. Voir le prénom de Maona s’afficher est un soulagement, savoir qu’elle se trouve chez lui l’est d’autant plus. Il se lève, récupère sa veste, sa sacoche et se rend en bas de son immeuble qui se trouve à une dizaine de minutes à pieds, mais dépendant de la voiture, il n’a pas changé ses habitudes. Il entre à l’intérieur de l’immeuble, monte les marches qui le séparent de son appartement, la tête pleine, mais légère à l’idée de retrouver la petite femme dont il est toujours autant dépendant. Le temps passe et  ça s’amplifie au fil des jours. Il ne pensait pas ça possible et pourtant… Lorsqu’il ouvre la porte, c’est pour entendre Maona parler. D’abord, il pense qu’elle parle au téléphone et il est trop loin pour savoir de quoi il s’agit, mais lorsque la voix, sa voix, lui parvient aux oreilles, son sang ne fait qu’un tour. Il lâche sa sacoche, ses clés par terre et le cœur battant, se hâte vers la cuisine, jusqu’à lui. Jusqu’à eux. Les yeux ronds, il les observe quelques secondes uniquement, des secondes qui suffisent à se rendre compte de la proximité, de la peur qui se lit dans le visage de Maona. Il ne réfléchit pas, attrape Cameron par les épaules et le plaque contre le mur. « Ne t’approche pas d’elle. » Eneko est essoufflé, comme s’il avait parcouru un marathon. Il a le cœur qui bat à un rythme effréné. La peur qu’il ait pu lui dire des choses, qu’il ait pu la toucher l’insupporte à tel point qu’il balance son beau-père qui n’a pas eu le temps de dire un seul mot. Déstabilisé, il tombe à terre et cette position lui donne le pouvoir de le frapper dans les côtes, à plusieurs reprises, de s’accroupir face à lui, le prendre par le col et cogner sa tête contre le sol. Il n’entend même pas ce qu’il lui dit. Il voit ses lèvres bouger, mais il n’entend rien. « Ne t’approche plus jamais d’elle ! » crie-t-il, en lui donnant un coup de poing, cette fois-ci. C’est la rage. La haine. Et surtout de l’avoir vu si proche de Maona.

Eneko tombe en arrière, sans perdre de vue cet homme qu’il a osé toucher, cet homme qui le dégoûte, cet homme qu’il a vu si près de Maona qu’il s’est emporté. Il ne pouvait pas laisser faire ça. Il ne pouvait pas rester de marbre face à ce petit mot que Cameron a prononcé, face à ce juron qu’elle ne méritait pas. Il ne sait pas ce qu’il a pu dire à Anna, mais il n’était pas question qu’il le laisse s’approcher de Maona qui va bien, qui le rassure, mais la colère est trop importante pour que ça l’apaise. Il se relève, le regard noir. Les blessures que son beau-père a au visage ne sont rien à ce qu’il lui a infligé, à la douleur qu’il continue de lui provoquer lorsqu’il le voie, lorsqu’il l’entend, ou encore lorsqu’il l’effleure. Un souffle sort d’entre ses lèvres, alors qu’il ne fait plus aucun pas en avant, Maona restant entre eux, mais il reste aux aguets, ne baisse pas sa garde, de peur des représailles. Pis, qu’il s’attaque à la femme qui l’empêche d’attaquer. La porte claque et toutes les phrases qu’il a prononcées montent doucement dans son esprit. Cameron n’a pas aimé sa perte de contrôle, il n’a pas aimé que pour une fois, ce soit Eneko qui prenne le dessus. Mais ce qui l’interpelle, c’est sa sortie. Il a menacé indirectement Maona en parlant d’Anna. Eneko revient peu à peu à lui en sentant les mains de sa petite femme sur lui, des mains douces, rien à voir avec celles qu’il a empoignées précédemment. Il revient définitivement à lui en lisant la peur dans ses yeux. Il l’encercle de ses bras, comme elle le lui demande, caresse son dos avec tendresse. Il ne veut même pas imaginer ce qui aurait pu se passer s’il n’avait pas été là. L’idée qu’il puisse vouloir lui faire du mal, à elle… Non. Impossible que ça arrive. « Ssshtt… Tout va bien. Il n’est plus là. » Comment a-t-il su où il vivait ? Son père l’a aidé il y a peu, à déménager, à installer ses affaires. C’est de là qu’il tient son information. Il aurait dû se débrouiller autrement, contacter Gaël à la place. Ses muscles se détendent et en douceur, glisse ses mains sur ses épaules, puis jusqu’à son visage qu’il prend entre ses mains. « Est-ce que ça va ? Je veux dire… Est-ce qu’il t’a fait quelque chose ? » Il voit bien que ça ne va pas très bien. Il le sent à son petit corps qui tremble. « Pardonne-moi. » Eneko s’en veut de ne pas s’être contrôlé, d’avoir été violent à ce point, sous ses yeux. Il ne voulait pas qu’elle soit témoin d’une chose pareille. Il appuie ses mains sur ses hanches, la soulève et la pose sur le tabouret. « Je ne le laisserai pas t’approcher. » Ses yeux se posent sur ce verre qu’il a pris, dans lequel il a bu une gorgée, puis sur un autre, plein. Il les prend, tous les deux et encore sous le choc de la confrontation, il les jette dans l’évier, si brutalement qu’ils se brisent. Il faut qu’il se calme. Eneko sort un nouveau verre et le rempli d’eau. « Tiens. Bois. » souffle-t-il, en passant sa main sur son visage, effaçant quelques larmes au passage. Son ton est un véritable contraste avec son état. Il se calme, pour Maona. Elle a besoin de lui.

Ca le rassure, d’un sens, qu’il n’ait pas eu le temps de s’attarder, qu’il n’ait rien pu dire, mais il appréhende de ce qu’il pourrait faire ensuite Eneko est en train de se créer une nouvelle vie, de se faire une petite famille, avec Maona, des projets qui arrivent à le faire avancer. Et Cameron est en train de tout gâcher, égoïstement. Il se souvient de sa colère, lorsqu’il a appris pour Anna et lui. Personne de sa famille n’avait été convié, si ce n’est son oncle et sa filleule et il n’avait pas aimé. Ce n’est pas tant de ne pas être invité, mais plutôt de ne pas avoir pu faire quelque chose pour l’empêcher de faire sa vie. Eneko lui a échappé des mains en partant sur Paris et c’était le but recherché. Il lui échappe de nouveau et il a l’air de vouloir faire payer toutes les personnes qui se mettent en travers de sa route. « Parce que c’est Anna qui lui en a parlé. Elle l’a contacté pour qu’il l’aide à me faire changer d’avis, sur le divorce. » Parler de lui, il n’aime pas ça, surtout qu’il n’avait pas l’intention de dire quoi que ce soit à son sujet. S’il avait eu la possibilité de ne pas en parler, il l’aurait fait, mais maintenant, avec cette altercation… Est-ce qu’il peut vraiment éviter le sujet ? Cameron vient de la menacer. Il passe sa main sous l’eau, essaie d’effacer les quelques marques sur son poing et qui ne partiront pas comme ça. Des marques témoignant des coups qu’il lui a infligés. Des marques qui sont un peu trop imprégnés en lui. Un lien entre eux qu’il ne désire pas. « C’est elle qui lui a parlé de toi. Et je ne voulais pas que tu connaisses son existence. C’est la raison pour laquelle tu ne sais pas qui il est. » Une chose est sûre, c’est que lorsqu’ils vivront tous les deux, Cameron n’aura aucune connaissance de son lieu de vie. S’il faut que son père n’en sache rien non plus, il n’hésitera pas à tenir sa langue. Ca lui est égal. Tout ce qu’il veut, c’est qu’il soin très loin d’eux. De Mao et leur bébé. Il revient vers Mao et reprend son visage entre ses mains. « Calme-toi. Tu ne pouvais pas savoir, tu ne savais pas. Tu n’y es pour rien, dans tout ça. » Il se renferme aussitôt qu’elle lui demande de se confier. Ce qui se passe, Eneko aimerait garder les choses secrètes. « Ca ne t’avancera à rien de savoir. Ca ne changera rien. Tu ne veux pas savoir. » Il n’en a jamais parlé. La fois où il était ivre ne compte pas. Eneko garde ça pour lui depuis qu’il est gosse. Il appuie ses mains sur l’îlot, de chaque côté de ses jambes. « Il ne me veut pas du bien. Il pense me vouloir du bien, mais ce n’est pas le cas. » Comment expliquer sans en dire trop ? Eneko pose une main sur son bras, puis la fait glisser jusqu’à son ventre. « Il ne faut pas qu’il sache pour cet enfant, Mao. S’il venait à apprendre… Il pourrait vous faire du mal, à tous les deux. » Eneko sait de quoi il est capable, mais n’en a eu qu’un faible aperçu. Pourtant, c’est déjà énorme. Il pose son autre main sur la nuque de Maona, puis dépose un baiser sur son front. « Ce n’est pas quelqu’un en qui tu peux avoir confiance. S’il vient te présenter ses excuses, s’il vient te voir pour te dire à quel point il regrette, il ne faut pas que tu l’écoutes. S’il essaie de reprendre contact, je veux que tu m’appelles. Tu m’entends ? » Doucement, il effleure sa joue du bout de son nez. « Je t’aime. Je suis là pour vous deux. Je ne le laisserai pas vous approcher. » murmure-t-il, en déposant un baiser au-dessous de son oreille.

Lui non plus, il ne veut pas. Il tient à ce petit être, même s’il peine à se l’admettre, pour se préserver d’une possible annonce qui pourrait le chambouler, d’un lien de sang inexistant, mais il ne veut pas que quelque chose leur arrive, à tous les deux et ça le soulage de savoir qu’il n’est au courant de rien, qu’il n’a rien pour l’atteindre, elle. Mais il sait comment l’atteindre lui. S’il veut se venger, il en a l’opportunité, maintenant et il sait très bien comment s’y prendre. « Il faut. Il a parlé à Anna il y a peu. J’ignore ce qu’il a pu lui dire, ou faire, mais elle refuse d’en parler. Anna s’est contentée de me donner les papiers du divorce. Signés. S’il essaie de te contacter, s’il te parle… Il ne faut pas que tu me tiennes à l’écart. » C’est ferme, ce n’est pas une suggestion. C’est un ordre. Autant il aimerait éviter que Cameron revienne ici, ou tente d’approcher Maona, autant il le sait capable de beaucoup de choses, même des pires. Eneko a juste le temps de caresser ses cheveux quelques secondes qu’elle se lève. Pour lui, ça lui semble évident. Ca fait partie d’un passé qu’il souhaite oublier, sur lequel il ne souhaite pas revenir. En parler, c’est comme réaliser que ça s’est vraiment passé, c’est prendre conscience qu’il a passé six années de sa vie entre les mains d’un pédophile. C’est surtout se positionner en tant que victime et Eneko ne veut pas être une victime. Il s’appuie sur le meuble, les doigts crispées dessus, en imaginant sa petite femme a sa place, plongée dans le silence, bloquée, ne voulant pas communiquer, le tenir au courant d’une situation similaire. « Ca me rendrait fou. » Elle a raison, il n’accepterait pas, il insisterait même, jusqu’à la mettre en confiance, jusqu’à ce qu’elle crache le morceau. Il acquiesce d’un signe de tête, puis passe sa main sur sa nuque, nerveusement. « Il était venu me voir plus tôt dans la soirée, juste avant que je vienne te voir. Il souhaitait me parler d’Anna, du fait qu’elle souhaitait qu’il lui vienne en aide. Elle sait à quel point il… me déstabilise. Elle a pensé qu’il serait de son côté. » Eneko serre tendrement sa main, puis la libère, pour marcher jusqu’à la fenêtre qu’il ouvre, par besoin de respirer l’air frais. Il étouffe. Il repense à ce qui vient de se passer, aussi. Eneko n’arrive même pas à savoir comment il a pu dégénérer autant. Lui qui est si bloqué face à Cameron. Lui qui se sent sale dès qu’il le touche. Son regard se pose sur sa main qui le brûle, qui lui est douloureuse. Et puis, profitant du fait qu’il se trouve dos à Maona, il confie : « Il a abusé de moi lorsque j’étais gosse. Mon départ sur Paris a mis un terme à ce qu’il faisait. » Il s’appuie de ses bras par la fenêtre, n’ose pas se retourner, de peur de croiser son regard, d’y voir une expression qui le mettra mal à l’aise. « Ne me regarde pas différemment, je t’en prie. Ne change pas d’attitude. Ca ne change rien à ce que je suis devenu. » Plus sèchement, il ajoute : « Je n’ai rien à voir avec le gamin que j’étais. Rien. » Il a disparu, il n’est plus là. Eneko ne veut pas entendre parler de ce môme incapable de se protéger, de ce môme qu’il n’aime pas.

Vide, c’est bien comme ça qu’il se sent après avoir confié une histoire vieille qui a commencé il y a presque vingt ans. En parler, ouvrir cette plaie qui n’a jamais été refermé, c’est dur. Ce qui l’est encore plus, c’est qu’elle soit au courant, qu’elle le visualise comme quelqu’un à qui on a fait beaucoup de mal, un mal qui se ressent maintenant. Mais elle s’accroche à lui, le rassure, lui dit les mots qu’il avait besoin d’entendre, que les choses ne changeront pas. Et c’est le cas. Bien qu’en lui, ce qu’il ressent pour Maona est d’autant plus fort et en même temps, c’est tellement étrange d’être à nu devant quelqu’un, de ne plus avoir de secret. En peu de temps, elle a réussi à ce qu’il s’ouvre, là où d’autres personnes ont échoué en dix ans. Il l’écoute avec attention, comprend aussi qu’elle a besoin qu’il lui donne une vraie place. Il se reprend, souffle un coup, comme pour se donner du courage qu’il trouve en sentant ses lèvres se presser contre les siennes. Un baiser bien trop court à son goût. « Tu es déjà là pour moi. Tu me soutiens, bien plus que tu ne le crois. Je n’ai pas pour habitude de demander de l’aide aux gens qui m’entourent, mais tu fais déjà tout ça. » Il n’aime pas, ne pas se débrouiller. Elle sait à quel point il aime contrôler sa vie. Ces dernières semaines ont certainement été les plus difficiles tant il a été confronté à une perte de contrôle de lui, pour bien des points. Eneko pose sa main sur son visage, effleure son menton de ses doigts, sa joue de son pouce, sans la perdre des yeux. « Ce n’est pas à toi de me protéger. C’est à moi de le faire. » souffle-t-il, en glissant sa main sur son épaule. Il saute sur cette perche qu’elle lui tend pour penser à autre chose, oublier le passage de son beau-père auquel il n’a plus envie de penser, pas ce soir. Il saisit sa main et l’attire près de l’îlot où il récupère quelques brochures. Quand il ne se fait pas des surgelés, il commande, lui aussi et ils savent tous les deux pourquoi. « Ce serait dommage de mourir comme ça. Je ne préfère pas prendre ce risque, tu m’excuseras. » Là, il appuie ses mains sur la taille de Maona qu’il soulève et pose sur le meuble central. Eneko se fraie un chemin entre ses jambes, capture ses lèvres, peut-être bien pour la remercier de ce qu’elle lui a dit, de ce qu’elle a fait. Peut-être aussi par envie. Ou les deux à la fois. Il effleure ses bras du bout des doigts, les glisse jusqu’à ses jambes. « Tu as un gynécologue ? » Il s’attarde sur son ventre sur lequel il pose sa main. Il appréhende pour lui, aussi, de lui faire le moindre mal, de bien des façons. « Il va falloir qu’on prenne un rendez-vous ensemble. J’ai quelques interrogations. » Il ne s’y connait pas vraiment, à part les rares choses qu’il a vu dans des films et ça n’en disait pas énormément. Eneko ne s’est jamais renseigné, parce qu’il ne pensait pas être père tout de suite. Il était convaincu que lorsque ça arriverait, il l’aurait décidé. « Il faut que je lui demande si… » Il dépose un baiser sur son cou, puis descend avec ses lèvres sur son ventre, par-dessus son vêtement qu’il remonte doucement. « Si je prends des risques à te faire des choses comme ça. » Impossible que ce soit un risque. Impossible. Neuf mois sans la toucher, sans la faire frémir, ce sera dur, long. « Là, à l’instant, je n’ai pas faim de la même chose. J’ai faim de la femme qui attend mon bébé. » Parce que c’est le sien. Il veut y croire. Surtout maintenant, après tout ce qu’ils ont traversé, après tout ce qu’ils se sont confiés. Il veut croire en eux.

Un couple. C’est bien la première fois qu’elle met des mots sur ce qu’ils sont vraiment, la première fois qu’il en prend réellement conscience aussi. Ils forment un couple. Un duo qui se bat pour avancer, qui se protège l’un et l’autre. Un trio, bientôt. Il ne peut que comprendre. Eneko a une vision similaire de la vie d’un couple, d’un vrai. Et il sait déjà qu’il la protègera de tout le monde, de tout ce qu’ils pourront dire, du mal qu’on pourrait lui faire. Eneko la dévisage, sourit en entendant ce rire qu’il aime tant, ce rire qui prouve à quel point elle est détendue. « Oh ça oui. J’imagine déjà les gros titres : une étudiante en architecture essaie d’empoisonner son ex-patron pour l’avoir licencié abusivement. Ce n’est pas vrai, mais on sait tous qu’ils aiment les titres accrocheurs. » souffle-t-il, en déposant un nouveau baiser sur ses lèvres. Ca lui manque toujours un peu plus à chaque fois. Il en profite, comme si c’était la dernière fois, comme si demain, il allait se rendre compte que tout ceci n’était pas réel, qu’un rêve. « Non, tu te renseignes sur les disponibilités de ton spécialiste. Pour avoir un rendez-vous, ça met parfois des mois, alors tu prends le premier créneau de dispo et je le serai aussi. C’est ma boîte, je peux m’absenter quand je veux. » Il peut reporter ses rendez-vous, compter sur Gaël pour le remplacer. S’il lui explique le pourquoi, il comprendra qu’il est en besoin, même s’il se doute bien que lorsqu’il apprendra la nouvelle, son ami lui posera une tonne de questions. Gaël ne voit pas les choses venir. Le contraire serait surprenant. Eneko relève sa tête, poussé par les doigts de Maona, à contre cœur, mais elle a raison, il le sait. Il caresse son ventre, dépose un baiser dessus, puis se focalise sur les brochures qu’elle tient en main. « Tu as de la chance que je sois un tant soit peu raisonnable et que je souhaite absolument que tu prennes soin de vous deux. » Ces mots qu’elle prononce encore une fois. Ces mots dont il ne se lasse pas, qui prennent plus d’ampleur avec son prénom et son nom prononcés ensuite. « Va pour asiatique, mais de viandes crues. Tu as envie de quoi ? » Il saisit le téléphone fixe placé sur l’îlot, sans perdre de vue la brochure. « Tu imagines une vie comme ça ? Une vie si simple. Sans toutes ces choses autour. Sans… prise de tête. » Il y pense quelques secondes, puis secoue la tête. Ca lui semble tellement insensé comme pensée. Un peu trop utopique. « Non. J’aime beaucoup trop être autoritaire avec toi et que tu me répondes pour me contenter d’une vie sans embrouille. » Leur couple, il est fort, il est passionnel. Ils sont fusionnels ensemble. Et ils apprennent à s’accepter, avec toutes les qualités et défauts qu’ils peuvent avoir. « Qu’est-ce que ça t’a fait d’utiliser ma clé, aujourd’hui ? C’est la première fois il me semble. » dit-il, en lui mettant sous le nez la brochure asiatique, pour qu’elle choisisse.

« Patron ? » répète-t-il. « Hm. » Il aime qu’elle l’appelle comme ça. Il ne le dit pas, mais ça doit se remarquer à sa manière de sourire. Ca lui donne un certain pouvoir et il adore ça. Tout comme il aime donner des ordres à ceux qui l’entourent. C’est comme ça qu’il se retrouve, comme ça qu’il se sent plus fort. C’est en constatant à quel point les autres lui font confiance qu’Eneko ne doute pas de lui. Alors ça lui fait du bien de reprendre un peu les choses en main, même s’il ne s’agit que d’un rendez-vous ou de nourriture. « Presque. » Il se contient, il ne perd pas de vue la nourriture qu’ils doivent commander, parce que c’est primordial, parce qu’elle a besoin de manger pour deux et il ne sait pas très bien comment il arrive à faire ça tant son désir pour Maona est présent. Peut-être pour lui rendre la pareille, aussi. Après tout, c’est bien Mao qui l’a remis sur le droit chemin, alors qu’il était à deux doigts de céder à la tentation qu’elle lui offre sans cesse. « Je ne m’ennuie jamais avec toi. » Il ne s’en fait pas pour ça. Ils ont toujours de quoi faire, de quoi se dire. Pour avoir vécu avec une femme pendant dix ans, il sait que trop bien que ça ne suffit pas pour connaître une personne sur le bout des doigts. Lui-même ne se connait pas entièrement. Et puis, il a envie de se surpasser, de découvrir comment il peut être avec une femme dont il est vraiment épris. Sa façon si passionnelle d’être avec Maona ne cesse de le surprendre, positivement, mais ça va encore au-delà de ça. « C’est ça. Tu es chez toi, Mao. Je ne t’ai pas donné mon double pour rien… Tu m’as dit que tu voulais déménager, tout reprendre. Tu peux venir ici quand tu veux, en attendant mieux. » Il sait qu’elle ne se sent plus si à l’aise que ça dans son logement. Lui, il voit les choses différemment. Il contient des souvenirs qu’il aime se rappeler. Les premiers qu’ils ont partagé ensemble, bien avant de savoir qu’ils allaient se revoir. « Essaierais-tu de m’éloigner de notre objectif principal, Madamoiselle Chatelain ? » Ca marche, vraiment. De savoir qu’elle a cette fameuse clé, qu’elle l’attendait, qu’elle peut aussi faire ça aussi souvent qu’elle le souhaite, sans qu’il soit au courant… Savoir qu’ils peuvent se le permettre, maintenant, qu’ils n’en sont plus au stade de se cacher, c’est fort, excitant. « Devrais-je vous rappeler que m’allumer de la sorte n’est pas compatible avec ce que nous devons faire ? » Il capture la brochure et y jette un coup d’œil à son tour. « Les classiques sont une source sûre. Il y a du bœuf mariné au gingembre et aux petits légumes, qui me plait bien, aussi. Tu veux un dessert ? » qu’il demande, avec malice, alors qu’il s’attarde sur son cou où il dépose plusieurs baisers. « Alors comme ça… Tu aimes que je sois autoritaire ? » Finalement, il s’éloigne, comme elle lui a demandé et profite de sa courte liberté pour attraper les morceaux de verre qu’il jette dans la poubelle. « Tu sais que si je t’ai vouvoyé aussi longtemps, c’était principalement parce qu’en plus de mettre une distance entre nous, j’avais cette impression d’être encore plus autoritaire, justement. » Et ça lui avait plu. Mais ça lui plait encore plus, cette proximité entre eux.