(eneko) and this happened

Un coup de fil auquel Eneko ne s’attendait pas. Un appel d’Elise. C’est la surprise lorsqu’il voit son prénom s’afficher. Il le prend, colle son portable à son oreille en entrouvrant les bouches pour prendre la parole, mais il n’en a pas le temps. Elle parle, demande après une Elise qui n’est pas lui. Elle parle d’un Casey qu’il ne connait pas, un ami sans doute, ou autre chose, un gars important peut-être, assez pour qu’elle lui demande d’aller la récupérer. Et elle raccroche, comme ça. Le quartier Milady, c’est le sien. Eneko ne peut pas la laisser comme ça, alors qu’elle pense avoir contacté une amie, alors qu’elle s’attend à voir débarquer quelqu’un pour l’aider, alors qu’elle va mal, tout simplement. L’idée qu’elle puisse ne pas savoir ce qu’elle fait lui est désagréable. C’est Elise. C’est son amie. Il sait qu’elle lui a demandé de ne plus la contacter, il sait qu’elle ne souhaite plus le voir, mais il sent l’urgence. Eneko attrape sa veste qu’il enfile à la volée, quitte son appartement sans trop faire de bruits, pour éviter de réveiller Mao et referme derrière lui. Il n’aime pas s’éloigner de son logement alors qu’elle est là. Il n’aime pas la laisser seule. Alors il garde son portable bien fort dans sa main et le range ensuite dans sa poche, au cas où elle se réveillerait, qu’elle le contacterait en se demandant où il est passé. L’arrêt de bus dans le quartier Milady… Elle ne pouvait pas faire plus précis. Il y en a tellement. Eneko roule au ralenti, regarde autour de lui, s’approche des bars, les plus connus du quartier qu’elle a dû fréquenter. Et puis il s’arrête, fais quelques mètres en arrière en ayant cru voir quelqu’un, une blonde. Cette blonde. Elise, dans les bras d’un autre, qui n’a pas la force de se débattre. Son sang ne fait qu’un tour, alors qu’il sort de son véhicule, s’avance avec rapidité. Il attrape l’inconnu par les épaules et le plaque contre l’autre mur. Il est un peu plus petit que lui, il s’attendait à être tranquille, à pouvoir faire son affaire et Eneko se serait bien attardé sur lui, pour lui rendre la monnaie de sa pièce, mais il y a Elise qui n’est pas loin, qui n’est pas bien. Il relâche l’homme, soulagé au fond de ne plus être en contact avec lui et se hâte vers Elise. Ses mains se posent sur son visage. « Elise. » dit-il, en essayant de capter son regard. Il la soulève dans ses bras, la cale sur la banquette arrière de sa voiture. « C’est Eneko. » Ce n’est pas une très bonne nouvelle pour elle, il le sait, mais il est pourtant là, à chercher ses papiers pour y trouver son adresse. Il l’attache avec la ceinture de sécurité et relève son visage en posant son index sous son menton. « Est-ce que tu m’entends ? » Elle ne va vraiment pas bien. Son verre a dû se retrouver empoisonné par une drogue qui l’a rendue bien plus docile. Eneko s’engouffre dans sa voiture, puis conduit, ayant en tête l’adresse, celle de Braou. Il revient vers elle et la reprend dans ses bras. Il monte dans l’immeuble, repose Elise qu’il garde tout de même contre lui, la sentant fébrile, bien trop faible pour tenir sur ses jambes et ouvre la porte avec les clés qu’il a trouvé dans son manteau. C’est la première fois qu’il entre dans son appartement, la première fois qu’il voit la décoration de cet endroit, mais ce n’est pas ce qui l’importe. Il la conduit jusqu’au salon, la pose sur le canapé et l’abandonne quelques instants, le temps de trouver la cuisine et revenir avec un verre d’eau. Eneko se pose près d’elle, approche le verre de ses lèvres. « Bois un peu. » qu’il dit, en posant sa main sur sa nuque, pour l’aider à mieux tenir.

« Tu m’as appelé en te trompant de numéro de téléphone, sans doute. Eneko, Elise… » C’est si proche dans un répertoire. Elle a fait une mauvaise manipulation, mais il ne pouvait pas ne rien faire, il ne pouvait pas la laisser comme ça et il ne regrette pas d’avoir été réactif, de l’avoir cherché. Il ne veut pas imaginer ce qui aurait pu se passer s’il n’avait pas été là, mais elle aurait eu mal, il en a conscience. Ca l’aurait détruite à tout jamais. Rien que pour ça, il est bien content de ne pas avoir écouté Elise qui n’avait pas envie de le voir, Elise qui souhaite qu’il parte, maintenant. « Je sais, mais pas tout de suite. » Elle a été là pour lui lorsqu’il n’allait pas bien, c’est à lui de lui rendre la pareille à présent. Eneko caresse ses cheveux avec tendresse, pour l’apaiser, puis la soulève dans ses bras et l’amène dans sa chambre où il la dépose sur son lit. Il lui retire ses chaussures, puis la cale bien sur le matelas, la recouvre d’une couverture. Il disparaît dans la salle de bain, prend un seau qui traîne, au cas où elle aurait des nausées dans la nuit, un gant de toilettes rincée avec de l’eau tiède et revient avec le tout. Eneko fait le tour de son visage avec le gant, pour lui faire du bien, puis le pose sur son front ensuite. « Repose-toi. Tout va bien. Tu es en sécurité ici, tu n’as plus rien à craindre. » Il ne lui veut pas de mal, même s’il l’a blessé autrefois. Elise est une amie importante à ses yeux et tout ce qu’il souhaite, c’est qu’elle se sente bien. C’est la raison pour laquelle il a fait tout ce qu’elle lui demandait, s’éloigner, disparaître de sa vie, la laisser revenir si elle en ressent le besoin. Peut-être bien que lorsqu’elle aura repris connaissance, elle lui en voudra d’être ici, mais pour le moment, Eneko reste dans la même pièce, espérant qu’elle retrouve sa tranquillité. Les effets du GHB, il les connait pour en avoir entendu parler, mais ça ne dit jamais comment réagir pour apaiser les effets. Du sommeil. Eneko prend sa main, caresse sa paume avec son pouce. Il est là. De sa main libre, il regarde l’heure qui affiche minuit. Aucun message de Mao, aucun appel. Il lui en enverrait bien un pour ne pas l’inquiéter, mais il craint que ça ne la réveille, alors il n’en fait rien, pas à cette heure, pose son appareil sur la table de chevet. « Endors-toi. » souffle-t-il, à l’adresse d’Elise, en replaçant le gant lorsque celui-ci se fait la malle. Il s'inquiète pour elle. Vraiment.

Elle s’est endormie. Eneko reste là un moment, caresse son visage, ses cheveux, pour l’apaiser. Il n’a pas envie de partir, même si elle le lui a demandé. Il ne partira pas tant qu’il ne se sera pas assuré qu’elle va bien. Qu’importe ce qui s’est passé entre eux, Eneko reste son ami et elle peut compter sur lui n’importe quand. Pour ça, il suffit qu’elle prenne son téléphone et qu’elle demande après lui. Il ne peut pas lui tourner le dos, pas après dix ans d’amitié, où les choses n’ont pas toujours été rose, certes, mais ils ne peuvent pas toujours être d’accord sur tout. Elle a l’air bien plus sereine maintenant que ses yeux sont fermés et Eneko culpabilise de lui avoir fait autant de mal, alors que la dernière chose qu’il souhaitait, c’était bien de la blesser. Il se passe bien une heure avant qu’il ne se lève, qu’il parte dans le salon. Eneko s’assoit sur le canapé, appuie sa tête sur le dossier et ses yeux finissent par se fermer, eux aussi. Le sommeil est plus fort que le reste. Lorsqu’il se réveille, c’est vers trois quatre heures du matin. Il vérifie qu’aucun message n’a été reçu, puis s’aventure dans la chambre d’Elise qui dort toujours. Eneko revient dans le salon, fouille dans sa veste où il sort un paquet de cigarettes. Il a fumé lorsqu’il était adolescent, il avait repris il y a plusieurs mois, lorsqu’Anna ne souhaitait pas signer les papiers, puis il a arrêté au contact de Maona et il a encore repris il y a peu, avec toutes ces histoires. C’est une après le café et une autre la nuit, lorsqu’il est en gros stress seulement. Ce n’est pas si souvent que ça et il n’en est pas dépendant, mais ça lui fait du bien. Lorsqu’il revient du balcon après en avoir consommé une, il aperçoit la lumière de la cuisine. Eneko pénètre à l’intérieur et tombe sur une Elise chamboulée, en larmes. Cette vue lui fait mal, le pousse à se rapprocher d’elle, même si son amie ne veut plus le voir. Il pose ses mains sur son visage, efface quelques gouttes salées, puis la prend dans ses bras. « Sshhtt… Tout va bien. Tu es chez toi, tu es en sécurité. » Il n’aime tellement pas la voir comme ça, dans cet état, si triste, si mal dans sa peau. Il caresse ses cheveux avec tendresse, pour la rassurer, l’apaiser, même s’il n’est pas certain que sa présence lui soit vraiment bénéfique. Maintenant qu’elle a recouvré ses esprits, un semblant de force, il s’attend à ce qu’elle lui demande de disparaître de sa vue, à ce qu’elle le repousse, même.

Si Elise ne souhaite pas qu’il la lâche, alors il ne le fera pas. Eneko la garde dans ses bras, la laisse pleurer dans ses bras. Ca lui fend le cœur de la savoir aussi mal et quand elle s’écarte de lui, ça lui fait d’autant plus mal de ne pas être celui qui peut la réconforter, parce qu’elle ne souhaite pas lui donner cette place, parce que tout a changé, parce que ses sentiments sont autres que ce qu’il ressent lui. C’est plus fort, ça n’a rien à voir à de l’attachement, de l’affection. Il comprend, même s’il aimerait que ce soit autrement. Ca lui manque de ne plus pouvoir l’appeler comme avant, lui parler normalement. Ca lui manque de ne plus avoir cette oreille attentive. Il l’écoute parler, ne peut que faire ce qu’elle lui demande. Il s’approche de la table, prend sa veste qu’il a posée sur le dossier de la chaise et l’enfile, alors qu’elle reprend la parole. Attentif, il relève la tête vers elle et c’est le choc lorsqu’elle reprend, qu’elle lui fait des aveux. Elise est amoureuse de lui. Elise l’aime. Il entrouvre les lèvres pour parler, mais les referme, ne souhaitant pas la couper. Ca fait dix ans qu’elle a des sentiments pour lui, qu’il n’en a jamais rien vu. « Je comprends. » Il comprend qu’elle ne souhaite pas être une simple amie, même s’il ne comprend pas ce qu’elle peut lui trouver, ni comment elle a pu tomber sous son charme, alors qu’elle ne le connait pas sur le bout des doigts, alors qu’elle ne connait pas ses secrets les plus horribles. Il ne comprend pas comment une femme comme elle a pu le voir différemment que comme un ami. « Tu ne lui ressembles pas. Tu… » Il baisse les yeux, se mord les lèvres, parce qu’il n’a pas envie de lui dire ce qu’il s’apprête à dire, pourtant… « Tu es plus de confiance. » Il le pense. Les sentiments ne sont pas les mêmes, mais Eneko a bien plus confiance en Elise qu’il n’a confiance en Maona. Elise… Elle ne l’aurait jamais poignardé dans le dos. « J’aurais aimé tomber amoureux de toi. » Sincèrement. Il sait très bien qu’elle ne l’aurait jamais trahi, qu’elle n’aurait pas été voir un autre, même dans les pires moments. Eneko aurait aimé tomber dans ses bras, il aurait aimé que ses sentiments soient bien plus forts que ce qu’il ressent, il aurait aimé l’avoir en tête tout le temps, à chaque minute qui passe, il aurait aimé être apte à faire des projets avec son amie, parce qu’elle est géniale cette femme, parce qu’elle le respecte beaucoup, parce qu’elle ne lui aurait pas fait mal d’une façon impardonnable. Eneko aurait aimé lui donner ce qu’elle désire, mais il ne peut pas. Et quand bien même il n’y aurait pas eu Maona… Ce serait prendre le risque de la faire souffrir. Il a compris que ce qui se passait dans son cœur, ça ne se contrôlait pas. « J’aurais vraiment aimé te voir différemment qu’une amie. » Ca aurait été tellement plus simple à gérer. Il est convaincu qu'il aurait été heureux avec elle. Il s’approche d’Elise, pose un baiser sur sa joue. « Je vais te laisser… Je sais que tu n’en as pas envie, que tu ne peux plus, mais si un jour… » Il a le cœur lourd, il ne veut pas que ça se finisse comme ça, mais si Elise pense que c’est la meilleure chose à faire pour qu’elle se sente mieux, alors il disparaitra de sa vie. « Tu sais que je suis toujours là. » Eneko a conscience qu’elle le sait, mais il le redit, comme si elle pouvait l’oublier.

C’est pourtant la vérité. Eneko a plus confiance en Elise. Il lui fera toujours plus confiance. Elle s’est toujours montrée honnête avec lui, même si ça ne lui plaisait pas toujours, alors il l’a dit, parce que sur le moment, c’est ce qui lui traversait l’esprit. Peut-être aussi pour la rassurer qu’elle avait quelque chose en plus que Maona n’aura plus : sa confiance. Eneko la donne déjà difficilement, mais il la donne, parfois, comme il peut priver ceux qui l’entourent de celle-ci lorsqu’il pense qu’ils ne la méritent plus. Il ne donne quasi jamais de seconde chance quand ça le blesse trop, ça n’en vaut pas la peine, ils recommencent. Anna aurait recommencé, parce qu’il n’aurait pu changer à ses côtés, pas en sachant ça et un jour, il imagine que Maona reproduira la même erreur. « Parce que si je le voulais je pourrais tomber amoureux de toi ? » C’est ça qu’elle veut dire ? Il secoue la tête, n’étant pas d’accord avec ce qu’elle dit. Il ne peut pas contrôler ce qu’il ressent pour Elise. Même s’il est convaincu que pour que des sentiments amoureux naissent, il faut apprendre à connaître la personne, apprendre à aimer chacune de ses facettes, mais Elise… Ca fait dix ans qu’il la connait. S’il avait pu ressentir autre chose que de l’amitié à son égard, il l’aurait su il y a des années de ça. Et puis il n’aime pas cette façon qu’elle a de le juger. Il sait qu’elle souffre à cause de lui, mais il n’aime pas le regard qu’elle peut porter sur sa relation, sur la différence d’âge, sur le fait qu’il côtoie une petite jeunette, une gamine, comme elle dit. Il n’aime pas ça, parce qu’il sent qu’elle a raison, que l’âge de Maona a peut-être joué sur les problèmes actuels, qu’une femme plus adulte n’aurait pas foncé tête baissée dans un bar, dans les bras d’un homme. Il n’en sait trop rien, il se pose des milliers de questions, s’embrouille, beaucoup trop. Le cœur lourd, il accuse le coup, recule de quelques pas. « Je m’en vais, d’accord ? Je m’en vais. » Il a compris. Il lui fait du mal, sa présence est une torture, alors il ne reste pas plus longtemps. « Au revoir. » Eneko passe le pas de la porte qu’il referme derrière lui. Il reste quelques secondes appuyé contre le bois peint, puis sort de l’immeuble. Il n’a plus d’Elise.