(Eneko) qui est-ce

« La même chose pour toi. » Il a beau avoir vécu dix ans avec la même femme, Eneko ne s’est pas investi dans sa relation avec Anna, comme il s’investit là, mais il craint qu’un jour, Maona lui reproche les mêmes erreurs faites avec Anna, que ça finisse par être insoutenable. C’est une pression supplémentaire à laquelle il ne pense pas vraiment pour le moment ; ils en sont au début de leur renouveau et ça lui semble tellement simple d’être là, de ne pas la laisser de côté tant il en est amoureux, tant il souhaite son bien. Il ne pense pas pour seulement pour lui, comme il l’a souvent fait ces dernières années. Il pense pour eux. Et au final, ça ne le dérangerait pas du tout qu’elle soit là tous les jours. Son côté possessif en a envie. Sa jalousie le désire. Il la préfère avec lui qu’avec des gens qu’il ne connait pas. Eneko arbore une moue amusée ; elle est en train de le charmer, de l’embrouiller, même quand il essaie de se concentrer sur cette brochure. Il pense à ce « plus tard », à ce dessert qui lui fait de l’œil, à ce dessert auquel il aimerait goûter. Il est faible, quand il se trouve dans la même pièce que Maona. Il s’appuie sur l’îlot, commence à composer le numéro, tout en la fixant des yeux, silencieux. C’est fou de pouvoir aimer une personne en si peu de temps, lui qui a toujours pensé que ça s’entretenait, qu’il fallait du temps pour que des sentiments véritables s’installent. Finalement, il compose le numéro entièrement et colle le téléphone à son oreille, en la dévisageant, l’observant s’éloigner. Son regard se pose sur chacune de ses formes, ne se lasse pas de le faire. Eneko en profite pour ajouter à la commande des boules de coco, parce que même s’ils semblent avoir décidé de ce qu’allait être le dessert, il faut que Maona mange et qu’elle se contente d’un plat lui déplait. Il sent son corps se coller contre le sien alors que la commande se termine, que l’adresse est précisée. Eneko entoure son bras autour d’elle, puis pose le téléphone sur le meuble. Il l’écoute, être dans le besoin, lui annoncer un préavis qui le surprend. Il ne s’attendait pas à ça, alors qu’ils n’ont encore pris aucune décision définitive sur l’achat possible de ce fameux chalet. « Mao… Tu sais bien que retaper ce chalet, si on venait à le prendre, prendra un certains temps. Rien que faire les plans de tout ce qui doit être modifié, les réparations, les travaux… Ton préavis est de combien de mois ? Deux ? Trois ? » Elle semble pressée et quelque part, il l’est aussi avec ce qui vient de se passer ce soir. Encore une fois, il préfère qu’elle soit proche de lui, qu’il puisse garder un œil sur eux, prendre soin d’eux en étant proche, plutôt que de vivre loin, de passer certaines soirées sans la voir. Il jette un œil dans son appartement qui est loin d’être petit. Lorsqu’il l’a pris, il avait besoin d’espace, de ne pas étouffer. Il ne pourrait vivre dans un vingt mètres carré, impossible. « Ecoute. Tu n’as qu’à t’installer ici, avec moi, en attendant. On pourrait récupérer tes affaires ce week-end. On trouvera bien de la place pour tes affaires, ça ne manque pas de place. » Il ne s’est pas tout à fait installé, lui. Beaucoup de ses cartons sont encore chez son père. Eneko souhaitait faire un tri avant et étant donné que ce logement est temporaire, il n’a pas souhaité tout défaire, pour tout refaire. « Ca nous donnera l’occasion de voir ce que ça peut être, toi et moi, dans un lieu commun, tous les jours. » Ca n’a rien à voir avec un week-end de deux jours. Chacun à ses habitudes. Elle avait déjà pu voir qu’au petit matin, Eneko avait besoin de son café pour bien démarrer la journée. Il caresse avec tendresse son visage. « Viens ici. Ca te fera du bien. » C’est un terrain neutre. Il n’y a rien d’Anna. Il n’y a rien de sa vie passée, à Maona. « Quant au chalet, on peut faire ça demain. Il est tellement mal foutu qu'on peut y entrer sans appeler le propriétaire. » La porte n'est pas verrouillée. Eneko l'avait vu, alors qu'elle claquait dans le vide.

« Bien sûr que non, tu ne me dérangeras pas. Au contraire… Je préfère t’avoir avec moi. » avoue-t-il. Il assume sa part de dépendance, le fait qu’il ne se sente pas en sécurité. Pour Cameron et ses menaces, notamment, bien qu’à présent qu’il a mis les pieds dans cet appartement, Eneko n’aime plus tellement cet endroit qui, il y a quelques heures, était lavé de son odeur, son visage. Maintenant, lorsqu’il passera ici, il sait très bien que les images de leur altercation lui reviendront en tête et finalement, il a hâte de faire une visite imprévue dans ce petit chalet, que les travaux puissent avancer rapidement, si jamais ils décidaient de le prendre. « Et toi ? Qu’est-ce que tu comptes faire de tes journées ? Je préfère te savoir ici, évidemment, pour te reposer, mais… L’idée que tu reprennes là où tu t’étais arrêtée me plait aussi bien. L’architecture, c’est vraiment terminé ? » Elle a du talent, elle est douée. Eneko trouve ça tellement dommage qu’elle qui était si passionnée s’arrête en si bon chemin. « Si j’insiste, Mao. Il n’y a aucun moyen de te faire changer d’avis ? » Parce que s’il y en a un, s’il faut qu’il insiste, il est capable de le faire. Il ne veut cependant pas la forcer à faire ce qu’elle ne souhaite pas, mais le dessin, cette voie, c’est ce qu’elle avait voulu. Elle avait été à l’encontre de ce que désirait sa mère pour ça. Il approche ses lèvres de son front et y dépose un baiser protecteur dessus. « Je me sens d’humeur rebelle. Ca ne se voit peut-être pas comme ça, mais je n’ai pas toujours été très droit. Crois-le ou non, mais j’en ai fait des conneries dans ma jeunesse. » Il n’en est pas toujours fier, c’est vrai, mais il ne les regrette pas pour autant. Et puis il en avait besoin. C’est comme ça qu’il s’exprimait, avant de découvrir l’art qui l’a sauvé. Comme à chaque fois qu’elle s’éloigne, Eneko sent comme un vide, mais il ne l’interrompt pas. Il revoit encore ce verre posé sur le meuble, Cameron l’ayant tenté, sans se rendre compte qu’il lui faisait du mal. S’il avait su, Eneko ne sait pas ce qu’il aurait été capable de faire pour qu’elle le boive, ce verre. Cette pensée le rend furieux. Il se rapproche, pose ses mains sur les siennes, effleure du bout des doigts son ventre dans lequel grandit cette partie d’eux. Eneko n’a pu faire quelque chose lorsqu’elle était en train de sombrer. Maintenant qu’elle a besoin de lui, qu’elle lui demande de l’aide, il ne compte pas prendre la tangente. Ca le touche qu'elle se confie à lui de la sorte. « Je comprends. Et je suis là. » L’alcool, un frein. Il regarde les placards, les fixe, puis s’en approche et les ouvre. Il se souvient avoir rangé quelques bouteilles, aussi parce qu’il n’est pas réfractaire à en consommer, parfois, mais ça n’a rien à faire ici. Il les prend, une à une, les pose sur l’îlot, jusqu’à ce qu’il y en ait cinq. Du Whisky, du vin blanc, une bouteille de rouge, de rosé. Et de la Vodka. Il récupère aussi ses bouteilles de bière, ses préférées, qui se trouvent dans un pack. Bon sang qu’il les aime ces bières. « Je vais l’être bientôt, divorcé. Ce n’est pas un problème. J’aurais aimé que tu m’en parles, oui, mais j’aurais tout à fait compris. Tu vas venir t’installer ici. Et je préfère, honnêtement, pour être là, aussi bien pour toi que pour lui. » Là, il ouvre une première bouteille qu’il vide dans l’évier, puis une deuxième. « Un mois de préavis… Bon. Ca nous laisse le temps de le remettre à neuf. J’ai vu que tu avais des câbles qui passaient dans le mur et quelques trous à la perceuse qu’il faudrait reboucher. Tu as une copie de ton état des lieux ? » Arrivé à la troisième vide, il prend la vodka et la lui tend. « Fais-le. Vide cette bouteille dans l’évier. » Parce que ce sera narguer cette chose, cette Vodka, dans laquelle elle a sombré.

« Très bien. » C’est une bonne chose. Rien n’est terminé. Maona ne tire pas un trait sur sa passion, sur son métier. Eneko sent qu’elle a besoin de se recentrer et les réponses qu’elle cherche, elles lui sont importantes, mais il est soulagé qu’elle ne tourne pas le dos à tout ça, à cette vie, les projets qui avait germé dans sa tête, avant tout ça. Avant lui. Avant eux. « J’insisterai, dans ce cas. Pas tout de suite, mais on reprendra ça ensemble. » L’avantage, c’est qu’il a un pied dans le métier, qu’il sait ce qu’il fait, qu’il a su se perfectionner avant le temps et qu’il continue dans ce sens. Si elle a besoin de se former un peu plus, elle pourra très bien le faire auprès de lui lorsque le moment sera venu, lorsque son coup de crayon lui manquera trop, lorsque ce besoin remplacera celui de son vice. « Je ne t’ai pas demandé comment ça avançait. Tu as pu trouver quelque chose ? » Il garde un instant le silence, hésitant, puis se lance tout de même : « Es-tu sûre de ce que tu fais ? » Ce n’est pas un problème pour lui. Il craint juste qu’elle soit déçue, que ses recherches n’aboutissent à rien, ou qu’elles ne lui donnent pas ce qu’elle cherche. Peut-être que ses parents biologiques ne sont pas des gens fréquentables, des gens bien, contrairement à ses parents. A cette mère qu’ils ont en commun, mais qui a été différente auprès d’elle. Cependant, il n’ira jamais à l’encontre de ses démarches, ni même pour la préserver du résultat. Eneko sera là, pour la soutenir. Il pince doucement sa hanche droite. « Viens-tu de sous-entendre que je suis vieux ? » demande-t-il, en affichant un sourire en coin. C’était comme si c’était hier, là où elle n’était qu’une petite fille. Eneko ne se rend pas bien compte de leur différence. Il n’y pense pas. Peut-être qu’extérieurement, les avis seraient différents, peut-être que ça se verrait un peu plus, il l’ignore et il s’en fiche bien. Ca ne l’empêchera pas de faire ce qu’ils font. Ca ne l’empêchera pas de prendre soin d’elle. Ou de la brusquer un peu, comme il le fait en vidant les bouteilles, bien que ce n’était pas son but premier. Il fait un pas en arrière, pour la laisser s’avancer vers lui, prendre sa relève. « Tu peux y arriver, Mao, tu peux la vider. Qu’importe ce qui s’est passé la dernière fois, dans cette rue… Tu es alcoolique, oui, mais ce n’est pas pour autant que tu ne vas pas t’en sortir. » Et elle la prend. Elle la vide. Douloureusement. Ca lui fait mal un peu plus à chaque goutte versée dans l’évier. Ca lui fait mal, parce qu’il sent que ça ne lui fait pas du bien. Jusqu’à ce que la bouteille tombe. Elle est presque vide. Eneko sait à quel point ça n’a pas été évident, à quel point ça a été éprouvant, il le sent. Il se rapproche sans perdre une seconde, pose ses mains sur sa taille. « Ssshhtt… C’est bien ce que tu as fait, ma puce. C’est bien. » Tendrement, il caresse sa chevelure, pour l’apaiser. « Tu vas t’en sortir. Je suis là pour t’aider. » De ses bras, il l’encercle, pose doucement ses mains sur son ventre et la ramène contre son torse. « Tu n’as pas besoin de ça. Tu as besoin de moi. Et de lui. » Ses lèvres se posent sur sa joue, puis descendent sur son cou. « C’est ça ta vraie dépendance. » Eneko l’oblige à se retourner, pose ses mains sur son visage, ses pouces sur ses joues qui effacent ses larmes, à chaque fois qu’elles roulent sur celles-ci. « Je crois en toi, mon amour. » S’il a perdu confiance, il y a quelque chose à laquelle il croit, c’est bien ça. Maona va s’en sortir, elle va se relever. L’alcool sera peut-être là, à lui faire de l’œil, mais il croit en elle. Ce qu’elle a fait, là, c’est déjà énorme. Il y a quelques semaines de ça, elle en aurait été incapable. Maona aurait peut-être bu une gorgée, même.

Le moment est dur. Elle passe par une période qui n’est pas simple, aussi bien avec les recherches qu’elle fait, qui, il espère, lui apportera vraiment quelque chose de positif. Elle n’a pas besoin de gens mauvais autour d’elle, mais de gens bien. Et puis elle a besoin de lui, il le comprend, alors il essaie de répondre au mieux à ses attentes du jour. Il resserre ses bras autour d’elle, la serre fort comme elle le lui demande, sans bouger, sans se reculer et perdre ce contact dont elle a besoin. Eneko pose son menton sur sa tête, caresse son dos, jusqu’à ce que la sonnerie mette fin à leur étreinte. Il acquiesce d’un signe de tête et dépose un baiser sur sa tempe, avant de s’éloigner et récupérer la commande qu’il paie par carte, entendant Mao en revenant dans la cuisine. « Ca l’était, mais ça n’avait pas sa place ici. Je ne veux pas d’alcool ici. » dit-il, en regardant le pack de bières qu’il n’a pas encore jeté. Il le prend, puis le cache sous le meuble, se disant qu’il en a déjà assez fait face à elle. Demain, il se chargera de ne plus mettre à disposition sa bière. Peut-être proposer à Gaël de les prendre, plutôt que de les jeter, il n’en sait encore rien. Eneko pose la commande sur l’îlot sur lequel il s’appuie quelques secondes. « Mao… Après tout ce que je t’ai montré, tu n’as pas à avoir honte. Je n’ai pas honte de toi, moi. » Elle a un problème d’alcool, il le sait très bien. « Ce que je retiens, c’est que tu as vidé en grande partie la bouteille. C’est beaucoup. Il y a quelques semaines de ça, tu ne l’aurais jamais fait, tu te rends compte ? » Il sort des sacs la nourriture, les plats, puis tend le bras vers Mao. Là, il récupère sa main et la tire contre lui, tout en fouillant dans son tiroir pour en sortir des couverts. « Je suis fier de toi. Et tu n’as certainement pas à t’excuser. » Pas pour ça. Ce n’est pas une erreur. Ce n’est pas non plus honteux de s’effondrer en larmes devant lui, même s’il comprend qu’elle puisse se sentir mal, étant donné qu’il le vit, lui aussi, lorsqu’il se retrouve au fond du gouffre. « Je t’ai brusquée ce soir. Je n’aurais peut-être pas dû t’en demander autant. » C’était peut-être un peu trop tôt. Ca n’empêche qu’il est fier de ce qu’elle a accompli. Il plante la fourchette dans le plat, puis approche le couvert des lèvres de Maona. « Ca marche comme ça, un couple. Ca se soutient, même dans les moments difficiles, comme celui-ci. C’est bien ce que tu penses, tout aussi, n’est-ce pas ? » Elle le lui a fait comprendre il y a peu, lorsqu’elle lui a dit qu’elle souhaitait le protéger elle aussi. Ils sont deux, ils ne sont plus seuls. Chacun se laisse une place dans leur vie. « Je ne vais pas fuir parce que tu as une faille. » Pas celle-ci. Son problème avec l’alcool est dur à gérer, mais ce n’est pas ce qui l’effraie. C’est plutôt tout le reste à côté.

« Je sais. » C’est déstabilisant, frustrant, de perdre le contrôle sur soi-même. Ca doit l’être pour Maona d’être constamment tentée, de ne pas réussir à résister, mais elle le fait. Elle l’a fait lorsque Cameron lui a proposé un verre. Elle n’en a pas bu une seule gorgée. Le seul verre qui était à moitié plein, c’était celui de son beau-père qui ne s’est pas gênée pour se servir. Eneko a eu peur, un court instant, en voyant les deux verres, mais elle a résisté et c’est tout ce qu’il retient. C’est une progression. « Tu vas guérir. Ca va prendre le temps qu’il faudra, mais tu vas réussir à t’en sortir. Lui est là pour te motiver. » dit-il, en caressant son ventre. Il sait qu’il n’est pas suffisant, qu’il ne la sauvera jamais avec tout ce qu’il dit, ou fait. Il sait que ce n’est pas lui qui l’aide à relever la tête. Du moins, il le pense. Mais cet enfant est là, lui et Mao y tient, même s’ils n’ont jamais vraiment mis les mots sur ce qu’ils ressentaient vis-à-vis de cet enfant. Eneko commence à s’y attacher, bien que ça l’effraie toujours beaucoup, du fait de ne pas savoir de qui il vient. « Oui, sans doute, mais si je vais trop loin… » Il lâche un soupir. C’est délicat, mais il ne faut pas qu’elle hésite à lui en parler. Eneko peut se montrer dur, parfois, même souvent. Il peut avoir des mots blessants, tant il n’y va pas par quatre chemins. Rares sont les fois où il tourne sept fois sa langue dans sa bouche. Eneko lui rend son baiser, puis se laisse attirer entre ses jambes, en prenant une bouchée du repas. Il n’a pas vraiment faim, comme à chaque fois qu’il est confronté à des situations plus que difficiles, comme celle avec Cameron, mais il se force un peu, aussi pour l’encourager à faire de même. « C’est ce que tu as fait aujourd’hui. C’était l’un de mes pires moments, Mao. Je te remercie. » C’est important pour lui, même s’il préférerait oublier ce détail de la journée et qui est bien trop imposant dans ses souvenirs. Ca le touche, ce qu’elle dit. Il se sent presque indispensable dans sa vie. Il sent qu’elle a besoin de lui, de sa présence, pour ne pas sombrer de nouveau, pour ne pas se faire mal. Il lui adresse un sourire qui disparaît cependant à sa question à laquelle il ne s’attendait pas. Ce qu’il disait plus tôt n’était pas fait pour qu’elle rebondisse dessus. Ca le dérange, parce que la réponse qui lui saute aux yeux n’est pas agréable, aussi parce que ça s’embrouille dans sa tête. Et il pourrait sauter sur l’occasion qu’elle change de sujet pour ne pas y répondre, mais… « Oui, je prendrai ma douche avec toi. » commence-t-il. « Je pourrais prendre la fuite si les choses ne s’arrangent pas. Si je ne retrouve pas confiance en toi. Si tu le contactes de nouveau. Si tu finis dans les bras d’un autre. Si être ensemble me fait plus de mal que de bien, simplement. » Si leur relation devient ingérable, tout simplement, comme ça l’a été avec Anna, bien qu’il n’ait jamais été possessif à ce point avec elle. Il ne lui a jamais posé d’ultimatum, il n’a jamais été autant blessé que maintenant. « Mais tu sais tout ça. » Il ne lui dit rien de nouveau. Leur relation est instable, fragile. Rien n’est acquis, il en a parfaitement conscience.

Le repas terminé, Eneko la suit jusqu’au canapé où il se laisse doucement tomber. Il attrape la télécommande de la Chaine-Hifi pour y mettre un fond sonore. C’est ce qu’il a l’habitude de faire lorsqu’il est seul, ou la télévision, pour entendre des voix dans la pièce, mais là, c’est juste pour les accompagner un peu. La musique, Eneko aime ça. Ca tombe sur un titre d’un artiste étranger qu’il ne connaît pas, mais c’est agréable à écouter. Il pose son attention sur les papiers d’adoption, sur des adresses, certaines sont barrées. « Raconte-moi. Qu’est-ce que tu as fait comme démarche jusque-là, exactement ? Et qu’est-ce qu’ils t’ont dit ? » Il s’intéresse à ce qu’elle fait, à comment ça avance. Il aimerait pouvoir lui être utile, l’aider, mais ça lui appartient. Contacter des centres, ce n’est pas à lui de le faire. Pas qu’il ne le souhaite pas, mais ils refuseront de lui donner des informations personnelles. « Ca avance. On a signé les papiers du terrain qui est acheté. On travaille sur les plans avec Gaël, il y a beaucoup à faire. » Mais il ne se fait pas tellement de soucis. Il connait, pour avoir commencé de cette manière lorsqu’il a ouvert son entreprise à Biarritz, bien que c’était moins organisé que maintenant. Ils ont de l’expérience, c’est sans doute ça qui joue beaucoup. Et maintenant que les papiers du divorce sont signés, il n’a plus aucun problème à l’horizon concernant son entreprise. Elle va être sienne, bientôt, entièrement et celle de Bayonne, qui est en train de se construire va aussi être sienne. Même si ça le tracasse toujours autant qu’Anna abandonne de manière si… déroutante. Eneko passe un bras autour de ses épaules, puis prend ses jambes qu’il étale sur les siennes, alors que son dos se cale bien au dossier du canapé. Ce sont des soirées comme ça, simples, qui lui donnent envie. Il n’y a pas besoin de plus. Ca ne l’effraie donc pas qu’elle vienne s’installer ici, avec lui. Eneko dépose un baiser sur sa tempe, puis repose son attention sur les papiers d’adoption. « Si jamais tu arrives à en savoir un peu plus sur eux, si jamais tu arrives à les retrouver… Est-ce que tu comptes les rencontrer personnellement ? » Ou est-ce qu’elle se contentera de savoir qui ils sont, de loin ? De voir s’ils sont des gens bien, des gens avec un bon mode de vie, ou le contraire ?