fish in the sea, you know how i feel (donovan)

Cela fait vingt minutes que Patsy est face à son minuscule écran de télévision à regarder un reportage sur les requins. Fascinée par les pixels de son téléviseur qui lui affichent sur un océan bleu délavé des formes floues mais restant majestueuses de ces animaux imposants. Elle n'en revient pas. Écoutant avec attention la voix posée du commentateur, elle boit ses mots avec intérêt, se mettant à haïr l'homme pour maltraiter des animaux comme ceux-là. Sept personnes à peine meurent à cause d'un requin par an, et le contraire est impossible bien entendu. Le générique la prend par surprise, défilant à toute vitesse des noms illisibles, et elle se sent terriblement frustrée. Elle se lève vers la grande cage de son petit hamster Miles qui semble dormir. Il semble toujours dormir, de toute manière. Si au début, cela l'effrayait car elle avait l'impression qu'il mourait tout le temps, elle avait maintenant l'habitude de le voir étalé et les yeux mis-clos, l'air paisible. Patsy avait dû batailler pour ne prendre qu'un hamster, elle avait terriblement envie d'avoir un chien, un chat, un lapin et un poisson, mais son porte-monnaie avait des raisons qu'elle avait dû prendre en compte. Alors elle ravalait sa frustration comme elle pouvait. Une idée liée à son reportage lui vint : pourquoi ne pas aller à l'aquarium ? Elle y était déjà allée, mais il était mis à jour assez souvent et chaque visite était une nouvelle surprise. La jeune femme s'habilla donc, coiffa vaguement sa frange, et installa un chapeau noir sur sa tête pour masquer sa flemme de coiffer ses cheveux un peu sales. Elle n'avait plus l'air négligée et elle sortit de chez elle pour prendre un bus, après avoir encore une fois vérifié si son hamster était vivant. Bien entendu, les bus étaient capricieux et elle attendit plus longtemps que prévu, en plus d'avoir dû demander à des gens s'ils avaient une idée du bus qu'il fallait prendre pour aller à l'aquarium. Malgré toutes les contraintes que pouvaient avoir les transports en communs, elle avait toujours nullement envie de passer son permis de conduire. L'essence était étonnamment coûteuse, le permis aussi, et acheter une voiture la rendrait probablement sans abris... Et que deviendrait Miles si elle n'avait plus de toit pour l'abriter ? Posant une main sur son chapeau pour ne pas qu'il s'envole, elle parcourut les quelques mètres qui la séparaient de l'aquarium pour enfin y rentrer et partir à la découverte de cet univers sous-marin qu'elle connaissait peu.
Les poissons étaient assez peu affectifs, bizarrement. Elle les contemplait, toujours avec cette paire d'yeux ébahis, et se faisait cette remarque. Patsy affectionnait par dessus-tout les animaux ; les caresser, leur parler, leur sourire, elle adorait. Ici, elle ne pouvait pas caresser les poissons, ni leur parler car la vitre qui les séparait les maintenait en vie, alors elle se contenait de leur sourire. Leurs yeux globuleux la contemplaient quelques secondes avant de l'oublier et de se mettre à nager ailleurs, avec un air absolument neutre. C'était bien dommage. La demoiselle se stoppa longuement au stand des tortues avant de bifurquer vers un autre type d'animaux marins. A vrai dire, elle cherchait un requin, peu importe sa taille, elle voulait en voir un. Pour pouvoir lui assurer qu'il était en sécurité, que les gens prendraient toujours soin de lui, qu'il avait de la chance d'être ici plutôt qu'entouré de méchants hommes. C'était stupide, mais ce programme sur Arte l'avait vraiment rendue concernée par les requins et elle se sentait comme obligée de faire ce genres de choses. Alors qu'elle était toujours en quête de son animal, c'est sur quelque chose de plus chamboulant qu'elle tomba. Tournant la tête vers un petit bassin, elle vit là entassé, les exacts clones de Bublé, son premier animal - c'était un poisson bleu et noir. Des souvenirs de l'Irlande lui revinrent en tête, fracassants. Un flashback d'elle-même, donnant à ses voisins le sac en plastique contenant son poisson alors qu'elle partait vivre à Lyon, lui déchirant le cœur. Bublé était pour elle la métaphore de l'Irlande, en quelques sortes, car c'était à peu près la seule chose dont elle se souvenait de son pays et de sa maison d'avant. Sans qu'elle s'en rende vraiment compte, elle était sur le sol de l'aquarium, en train de sentir des larmes envahir ses yeux tant les souvenirs étaient violents. Elle avait été barbare avec son animal, et la séparation avait été faite dans la hâte, tout comme avec l'Irlande. Elle reniflait au beau milieu du couloir de l'aquarium, devenant l'attraction de cette section plutôt que les poissons. Patsy se mit à baragouiner des mots de dialecte irlandais, se maudissant, mais également se rappelant de ces après-midi avec la famille et ses cousins lui apprenant ces mots étranges : « A gimp, savage yoke... Left me gaff... » Tout lui faisait mal à vrai dire, même parler. Ses yeux se levaient à nouveau vers les poissons bleus et noirs sans qu'elle puisse combattre ses larmes. Elle n'avait jamais eu ce genre de crise et à vrai dire, elle avait assez de mal à se contenir ou à gérer ses émotions. La brune sentit qu'on lui prenait les épaules, qu'on tentait de la faire bouger ou qu'on la rassurait mais elle était clouée au sol. Incapable de changer de place. Elle n'avait plus la force.

Spoiler: