romane | changements préoccupants.

il y avait ces jours où tu n’avais rien à faire passé dix-sept heures, où tu avais terminé ton service au bar, où tu ne travaillais plus de la journée ou recommençait à des heures tardives. Ces jours là, tu traînais dans les rues de biarritz, tu passais chez ta mère pour récupérer la chienne, tu passais par le jardin pour admirer les musiciens qui jouaient. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui tu ne voulais pas traîner, aujourd’hui tu ne voulais pas aller voir les musiciens, aujourd’hui tu n’avais pas à aller voir ta mère pour récupérer la chienne. Tu y étais aller, quand même, pour lui dire bonjour, passer quelques minutes, mais pas énormément. Tu n’avais pas envie de laisser le clébard très longtemps, seule, avec Romane. Parce que tu n’aimais pas laisser la chienne à la jeune femme, même si elle continuait de te certifier que ça ne la gênait pas. alors, quand tu n’avais pas le temps, quand tu avais pris un peu de retard, quand la chienne ne coopérait pas… tu la laissais à la blonde, et elle s’en occupait. C’était le cas, aujourd’hui. Tu gares ta voiture, tu la verrouilles. Tu montes les quelques marches qui séparent le trottoir de l’immeuble de deux étages, un petit immeuble, pour ouvrir la porte d’entrée puis rejoindre bien vite les escaliers et les monter eux aussi, au pas de course. En même temps, tu sors ton trousseau de clefs, le tintement des petites choses en métal se fait entendre. Tu arrives devant la porte du loft : vous êtes au premier étage, pas trop haut, pas trop bas. il y a même une terrasse et un petit escalier pour accéder à un jardin commun, pour que la chienne se dégourdisse les pattes. Tu passes les clefs dans la serrure puis les tourne : avant de partir, tu fermes toujours la porte à clef, que Romane soit dans le loft ou non. C’est une manière d’annoncer ton arrivée si elle est là, histoire qu’elle ne soit pas surprise en te voyant arriver derrière elle, si elle a l’oreille attentive. Le déclic se fait entendre et tu ouvres la porte, entres, puis la refermes derrière toi. La chienne vient te saluer, remuant sa queue, haletante. Tu lui caresses le crâne, t’accroupis pour lui frotter le collier, puis te relève. Tu regardes le loft, le salon. Tu fronces les sourcils. Le canapé n’est plus à la même place, la contrebasse à été bougée et tu entends quelques bruits sourds, venir de derrière le mur. Tu t’avances dans le couloir d’entrée pour découvrir à quelques mètres à gauche de là, une Romane, accroupie, qui change encore une fois les meubles de place. Tu te frottes les mains, plus par reflexe que pour une autre raison, enlève ta veste, l’accroche au porte manteau qui, heureusement, n’avait pas –encore ?- bougé de sa place habituelle et t’approche de ta colocataire. Romane était concentrée sur ce qu’elle faisait, elle ne devait pas avoir remarquée que tu étais là. Elle faisait de temps en temps des "crises-d’envie-de-tout-changer-de-place" dans le loft. Mais ça ne signifiait jamais rien de bon, surtout quand elle semblait si concentrée, si peu enjouée. Tu te baisses un peu, pose tes mains sur ses épaules doucement, et attend qu’elle réagisse. Elle te dira bien assez tôt ce qui la préoccupe, ou du moins, tu l’espères, car tu n’aimais pas voir la jolie blonde dans cet état.

elle t'a regardé, un peu. mais elle a vite détourné la tête, vite détourné ses yeux bleus. toi tu continues de froncer les sourcils. t'es pas du genre à montrer ton inquiétude, en soit, mais avec romane, c'était différent. vous vivez ensembles depuis plus d'un an, vous vous connaissez depuis plus de deux ans, et j'aurais même envie de dire encore plus que ça. romane, tu la regarde s'activer contre les meubles. on dirait qu'elle est en colère. elle fait moins attention, elle pose plus violemment les petites babioles, elle est moins douce avec le meuble sur lequel elle s'active. d'ailleurs, t'as l'impression qu'elle force sans en avoir besoin, et que le meuble, il veut pas bouger. t'as l'impression qu'il serait comme fixé, ou alors, qu'elle donne toutes ses forces pour autre chose, qu'elle est ailleurs, qu'elle est pas totalement là, et que c'est comme un tic pour elle, de bouger les meubles, histoire de ne pas rester assise, droite et sans bouger un seul membre sur le canapé, plongée dans ses pensées. « Putain de merde, il veut pas bouger...» elle grogne. tu déglutis. t'avais l'habitude de sa vulgarité, à romane. mais là, c'était autre chose. c'était pas comme ses autres moments où elle s'exprimait verbalement sur quelque chose. c'était de la rancune, c'était de la colère. et tu regrettais qu'elle ne se tourne pas vers toi pour te montrer ses yeux. peut-être que là, t'aurais pu voir ce qu'il se passait. ne serait-ce qu'un peu. parce que tu la connaissais romane. mais fallait dire que rien qu'en entendant sa manière de parler aujourd'hui, rien qu'en observant ses gestes, ou simplement rien qu'en entrant chez vous, tu voyais que c'était pas un bon jour pour elle. alors tu serres un peu plus ses épaules avec des doigts, tu veux pas la forcer à ce qu'elle se retourne, tu veux pas la forcer à ce qu'elle te regarde, mais si elle a besoin de quelqu'un, si elle a besoin de toi, alors il faut qu'elle sache que t'es là.  « Il veut pas bouger...» c'est presque un soufflement, c'est presque rauque, c'est presque étouffé. alors tu dégages tes mains de ses épaules et tu vas à côté d'elle, tu vas l'aider à bouger le meuble, tu sais pas vraiment si c'est ce qu'elle veut, mais au moins, tu la verra, au moins, elle ne sera plus frustrer par ce truc qui veut pas bouger, alors qu'elle y met, ou semble y mettre toutes ses forces.  « j'vais t'aider ro, j'vais t'aider, t'inquiètes. » tu vas l'aider à bouger le meuble, mais tu vas aussi l'aider à se sentir mieux. tu veux l'aider à aller mieux, à arrêter de pleurer, parce que quand tu viens vers elle, vers le meuble, tu vois qu'elle a les larmes aux yeux, tu vois que ses yeux bleus sont embués, tu vois ses joues rougies, sa mine désemparée. alors tu fais glisser le meuble, vers là où tu pensais qu'elle voulait l'y mettre. tu forces pas beaucoup, il est pas bien lourd, et tu veux que romane pense qu'elle y arrive, qu'elle n'use pas de l'énergie pour rien. puis t'arrives prêt d'elle, tu la fixe quelques instants, elle a la tête baissée, elle te regarde pas, elle évite ton regard. alors tu prends sa tête entre tes mains et tu la redresses, t'essayes de la forcer à te regarder cette fois. parce que cette fois, t'as la preuve qu'il y a quelque chose de grave. « tu veux parler ?» tu demandes doucement. tu demandes attentif. tu demandes pour romane.

elle finit par t'avouer la vérité. elle l'avoue, après l'avoir retenu. elle l'avoue après l'avoir noyé dans son esprit. sa soeur, elle t'en avait parlé. sa soeur, tu savais qu'elle l'aimait plus que tout, malgré tout ce qu'il avait pu se passer entre elles. après tout, c'était une relation familiale, non ? les disputes, les jalousies, les tensions. elle ne t'avais dit que le strict minimum. ce que tu devais savoir. t'avais pas cherché plus, t'avais pas fouiné. tu l'avais laissé dire ce qu'elle voulait bien te dire. alors savoir que june était morte, ça te faisait de la peine pour romane. l'état dans lequel elle était, l'état dans lequel ça la mettait. ses paroles, étouffées, simples, saccadées. tu la serres dans tes bras. tu peux faire que ça. tu places ta main derrière sa nuque, tu places ta main sur ses cheveux et tu la serres, autant que tu peux, autant qu'elle se laisse faire. parce que tu sais faire que ça. tu sais pas parler, dans des cas comme ça. tu sais pas dire aux gens ce qu'ils devraient faire. t'es pas un psy. t'es pas un conseiller. t'es un musicien, un parolier, et un barman. en tant que barman, envers une personne que tu connais pas, t'aurais dis que t'étais navré. mais romane tu la connais. tu vas pas lui dire que t'es désolé, tu vois pas l’intérêt. tu comprends pas pourquoi les gens s'excusent de la mort de quelqu'un. faut juste être là pour elles, c'est tout. les soutenir, sans forcément parler. romane, tu sens qu'elle pleure énormément. t'entends ses sanglots, t'entends ses petits cris de détresse. tu comprends pas ce qu'elle ressent, tu comprends pas. mais t'es là. t'espère qu'elle en a conscience. t'espères qu'elle t'en voudra pas de rien dire. elle te serre, elle s'agrippe à toi. toi tu la soutiens un peu plus, tu l'empêche de tomber, parce que tu sens qu'elle est frêle, tu sens qu'elle tremble, tu sens qu'elle a du mal à tenir seule, qu'un peu plus, et elle s'effondrerait, parce que son esprit s'est déjà effondré, lui. « Elle est morte Azel...» t'acquiesce lentement, alors que son visage est toujours enfoui prêt de toi. tu lui murmures  « Chhht...» à l'oreille. tu veux qu'elle se calme, progressivement. qu'elle vide son sac, qu'elle vide ses larmes, mais qu'elle finisse par se calmer, et qu'au final, elle se sente soulagée. soulagée d'avoir pu extérioriser ses émotions, plutôt que de les noyer et de les accumuler, encore et encore. tu sens ses tremblements ralentir, tu sens ses sanglots diminuer. peu à peu, elle réussit. tu frictionnes son dos, une dernière fois, avant de la prendre par les épaules, et de le reculer un peu, juste un peu. tu veux pas qu'elle pense que tu t'éloignes, tu veux pas qu'elle pense que tu pars.  « ça va aller, d'accord ?» c'est bête, ce que tu dis. mais t'as pas l'habitude. c'est pas tous les jours que ta colocataire perd sa soeur. c'est la première fois. et même si t'as eu un moment pour t'y attendre, pour essayer de préparer la manière dont tu pourras l'accueillir à la maison, la manière dont tu pourras lui parler, quand ce moment arrivera... bah au final, c'est arrivé trop tôt. c'est arrivé trop tôt pour elle, c'est arrivé trop tôt pour toi. alors tu fais, tu dis, et c'est tout. « ça va te sembler con ce que je vais te dire, mais june, elle est là et elle le restera toujours.» tu dis en désignant sa poitrine de l'index, son coeur, en particulier. ce genre ce truc, c'est idiot, mais c'est vrai. et c'est toujours bien de le rappeler, même quand celle a qui tu le dis est une nana de vingt-quatre piges qu'à du mal à remarquer que son coeur, il peut s'ouvrir.