(Anam) Un rendez-vous obligatoire pour un rachat

« Qu’est-ce qu’il attend au juste, tu peux me dire ? » lancé-je, sèchement au téléphone, avant de soupirer. « Il aimerait être présent. » Mon père et ses demandes… Il s’y prend doucement, mais il sait que je ne peux rien lui refuser. Il peut claquer des doigts et il a ce qu’il désire sur un plateau doré. Sauf que je ne suis pas d’accord avec la demande de son ami. Je pousse la porte du siège de l’entreprise, tourne la tête vers le taxi pour vérifier que ma valise de voyage est bien prise en charge. J’ai de nombreuses heures de décalage avec le Japon, le voyage a été long et je dois enchaîner une nouvelle journée de travail. Les sept heures, je les sens, mais l’habitude est là. « Le rendez-vous est pris pour ce matin, il ne peut pas être présent. Il va l’intimider, foutre en l’air le rachat de la boîte, c’est tout ce qu’il va réussir à faire. » Si le père de Leibnitz se montre capricieux, s’il ne revient pas sur son souhait de surveiller tout ce qui se passe, pour s’assurer le bon fonctionnement de son plan, il va tout mettre en péril. Je ne le connais pas assez pour me faire une idée sur le personnage, mais je le sais assez concerné pour savoir que ce n’est pas une bonne idée. « Avec tout le respect que j’ai pour toi, et tu sais à quel point j’en ai… » commencé-je, alors que je prends place dans l’ascenseur, sans adresser un regard à qui que ce soit. Une femme présente dans la cabine s’excuse auprès de moi, puis sort, me laisse le champ libre. J’appuie sur le bouton et reprends la conversation : « Si je n’avais pas la certitude que sa présence pourrait créer un véritable conflit pour son affaire et pour la mienne par la même occasion, je ne te dirai rien, mais il n’a pas son mot à dire pour le moment. Tant que la signature n’est pas apposée sur le papier, il ne pourra rien faire et je ne pourrais pas l’y aider. » A ce que j’ai compris, il souhaite garder un œil sur son fils, peut-être le faire changer d’avis sur son avenir, mais je n’en sais pas plus et je n’ai aucun intérêt à jouer mon curieux là-dessus. Ca ne me concerne pas, ses affaires de famille. Il en fait bien ce qu’il veut. Un silence règne à l’autre bout du téléphone et j’ai le cœur qui se resserre. Je n’aime pas faire face à cet homme qui m’a tout donné, je n’aime pas le contrarier, alors j’entrouvre la bouche, en même temps que je file dans le hall qui me sépare du couloir menant à mon bureau. « Monsieur Lezcano ? » Mon assistante se lève, s’appuie de ses mains sur son bureau, mais s’arrête en comprenant que je suis au téléphone. Je lui lance un regard qui en dit long sur son intervention. Elle se tait, ne pipe pas un mot et je m’apprête à reprendre de nouveau ma conversation quand mon père me souffle que j’ai raison. Un souffle de soulagement sort d’entre mes lèvres. « Je te tiens au courant. » dis-je. Il acquiesce, puis j’attends qu’il raccroche pour en faire de même et reprendre mon chemin. « Monsieur Lezcano ? » Mon assistante. « Plus tard. » Qu’elle me laisse arriver. Elle me suit, je l’entends avec ses petits talons claquer sur le sol. « Je suis désolée Monsieur, mais… Votre rendez-vous de neuf heures trente est arrivé. » Je m’arrête, jette un œil à ma montre. Quand on parle du loup. Ce rendez-vous dont je ne vois toujours aucun intérêt pour mes affaires. Une agence de rencontres… Tellement divertissant. Je me tourne vers la rouquine qui a l’air gêné. « Très bien. Je m’en occupe, merci. » Elle s’échappe, me présentant par la même occasion la jeune femme que je dois recevoir. « Mademoiselle Khiel ? » Alors, il s’agit d’elle ? Je ne sais pas à quoi je m’attendais, peut-être à quelqu’un d’un peu plus jeune encore. « Suivez-moi, je vous prie. » dis-je, fermement, en lui désignant le couloir à prendre.

« bonjour, j'ai rendez-vous avec avec monsieur Lezcano. je suis mademoiselle Khiel.  » que tu souffles à l'accueille. on se renseigne, on passe des coups de téléphone pendant que tu es là, que tu attends sagement la suite des événements. on finit par t'indiquer un ascenseur, un étage et tu t'exécutes, tranquillement alors que tu es une boule de nerf. tu appréhendes ce qu'il va se passer. tu joues l'avenir de ta boîte, là, maintenant et tu ne comprends toujours pas ce que tu fais là. tu avances, dans cet environnement beaucoup trop prestigieux, beaucoup trop grand pour ta petite boîte. tu ne comprends pas en quoi ça les intéressent, en quoi ton entreprise peut les intéresser. tu as peur de foncer tête baissée dans quelque chose de trop gros. tu finis par arriver à l'étage, une autre demoiselle te demande d'attendre et tu t'exécutes. finalement, un homme arrive, beaucoup trop jeune pour être la patron d'une telle entreprise. sauf que tu te retrouves bien surprise quand c'est le cas. c'est lui ? monsieur Lezcano ? lui, qui possède autant de choss ? la chaîne de restaurant, le casino. tu as du mal à y croire et pourtant .. « Mademoiselle Khiel ? » qu'il demande en t'observant. tu hoches simplement la tête pour lui confirmer. « Suivez-moi, je vous prie. » tu regardes le couloir et tu le suis, sagement. t'attends qu'il t'amène quelque part, tu entres rapidement dans un bureau dix fois trop grand. tu pourrais mettre presque tout ton appartement là dedans, peut-être même ta voiture. « vous devez être monsieur Lezcano, je suis là pour parler de cette proposition que vous avez faite. » que tu commences, tu ne t'assois pas sur ces fauteuils qui doivent valoir plus cher que tout ce que tu portes actuellement. ton tailleur n'est pas de taille. vraiment pas. « mais j'ai une question avant tout .. pourquoi une si petite boîte ? vous êtes plutôt gros projets normalement.  »

Je referme la porte, alors qu’elle prend la parole. Je l’écoute, attentif, jette un œil sur elle, furtivement, en rejoignant mon bureau pour sortir le dossier et le contrat qui n’a pas encore sa signature. « Installez-vous. » dis-je, en lui désignant un fauteuil face à moi. Je suis disposé à répondre à ses questions. L’enjeu n’est pas professionnel, il est d’un ordre personnel et le mensonge sera mon meilleur ami pour répondre à son interrogation. Je me la suis posé aussi. Il n’y a visiblement aucun intérêt à ce que je rachète sa petite boîte dont le thème ne m’intéresse absolument pas. Dans le cas contraire, je n’aurais probablement pas investit dans celle qu’elle gère. Je pose à plat mes mains sur le bureau et relève les yeux pour croiser les siens. « J’investis dans de nombreuses entreprises, Mademoiselle Khiel. Des petites, des moyennes, des plus grandes. J’en sauve certaines de la faillite, celles en qui je peux voir un avenir. Je ne suis pas uniquement sur de gros projets, mais ils finissent par le devenir. » Je ne connais pas l’échec. Impossible de dire que certains n’ont pas fait long feu. Je ne laisse rien au hasard, ne délaisse rien. Ca a trop d’importance pour mes affaires. « La vôtre a du potentiel. » A ce que j’ai vu, son agence débute bien, ne connait pas tellement une baisse d’activité. C’est fréquenté. Pour combien de temps ? « On m’en a beaucoup parlé, avec tellement de points positifs que je m’y suis intéressé de près. » Tout ce qu’il ne faut pas dire. Valoriser son travail, lui montrer que ça me plait. « Elle peut aller loin, si vous lui donnez les moyens. Or, avec la concurrence plutôt rude sur le marché, il sera difficile de vous démarquer et d’apparaître sur les premières pages de recherche en quelques mois. » Je me redresse, croise les bras, sans jamais défaire mes yeux des siens. « Ce que je vous propose, ce n’est pas seulement d’investir dans votre petite entreprise, c’est d’en faire sa promotion, de vous donner les fonds nécessaires à certains de vos projets que vous souhaitiez réaliser dans les années futures. Imaginez un peu ce que cela peut représenter. » Elle ne doit pas y être habituée. Elle se trouve en bas de l’échelle, je lui propose de rejoindre le haut en peu de temps. « En soi, c’est un bel avenir pour votre agence. » Cette petite aventure pourrait se transformer en une grande expérience. N’importe qui voudrait être à sa place, s’en rend-elle compte ? « Evidemment, certaines choses pourraient changer. » Notamment son personnel. Je reste évasif. « Mais c’est une chance qui ne se représentera pas deux fois. Pour en bénéficier, il suffit de signer, simplement. » Je tourne le contrat qu’elle a déjà eu, lu, vers elle, pose un stylo sur le papier. « Avez-vous des interrogations auxquelles je pourrais répondre ? »

 « Installez-vous. » qu'il t'ordonne presque, t'hésite, t'aimes pas les ordres, t'aimes plus ça, tu en as trop entendu quand tu étais une enfant mais tu le fais quand même. tu te dois de partir du bon pied, tu sais qu'il peu t'apporter beaucoup alors il faut que tu prennes sur toi. tu fais doucement le tour du fauteuil et tu viens t'installer. tu croises tes jambes et tu le fixes. tu ne baisses pas le regard, pas à un seul moment, tu le fixes, et il faut de même, ses deux mains sur le bureau. et il parle encore, encore et encore. il te donne trop d'informations, il t'informe, te valorise, tu restes de marbre, tu ne bouges pas de ta place, le regard bloqué. il te perd, dans tout son bla bla. « Evidemment, certaines choses pourraient changer.  Mais c’est une chance qui ne se représentera pas deux fois. Pour en bénéficier, il suffit de signer, simplement.  Avez-vous des interrogations auxquelles je pourrais répondre ? » il tourne déjà le contrat vers toi, un stylo prêt à être utilisé, mais toi, tu ne regardes pas le contrat, non, c'est lui que tu regardes. « Monsieur Lezcano. ça fait beaucoup d'informations et beaucoup de compliments pour si peu. soyons honnête. je ne vous dis pas non, je vous demande juste un peu plus de temps pour y réfléchir.  » que tu lui réponds, sûr de toi. « cette entreprise, c'est tout ce que j'ai, alors comprenez que signer aussi rapidement, ça serait légèrement trop téméraire. il faut que je relise encore, que je prenne conseil auprès de mes employés. Est-ce que vous auriez encore un peu de temps à m'accorder ?  » tu continues, un fin sourire se dessinant sur tes lèvre. « je vous recontacterai ? c'est possible ? je ne veux pas déranger votre business. » parce que tu as l'impression que c'est ça, une simple question de business, d'argent. « vous devez certainement avoir des tas d'autres choses à faire. » tu souris, un sourire sincère. tu ne sais pas ce qu'il cherche, mais c'est trop rapide. beaucoup trop pour toi.

Beaucoup d’informations ? Je ne fais que résumer, donner plus d’ampleur à ce qui a dû lui être présenté. Quant aux compliments, elle n’a même pas idée quel point ça m’arrache la gueule de les prononcer. Je lui donnerai raison, je démonterai bien un à un tous les points positifs en points négatifs, mais je n’en fais rien. Je ne suis pas le principal concerné par cette affaire. « Je comprends, c’est un sacré changement. Relisez le contrat, envoyez-moi vos interrogations par mail. » Je tire le tiroir, en sors une petite carte où il y a noté mes coordonnées professionnels. Je ne suis pas toujours joignable H24, pas pour tout le monde, mais je le suis régulièrement et mes mails me sont accessibles partout, notamment sur mon téléphone portable. Je saurais lui prêter une attention particulière, parce que ce dossier est sur le haut de la pile, passe en priorité, toujours lorsqu’il s’agit d’un service que je rends à mon père. Je glisse la carte sur le bureau, face à elle. « Il ne s’agit pas uniquement de ça. Sur un plan personnel, ce projet m’affecte particulièrement. » Pas de la manière qu’elle pourrait penser, mais elle n’a pas à le savoir. « Cette personne qui s’est attardé sur votre agence est une très cher ami qui souhaiterait la voir évoluer de la plus belle des manières. » Ami, pas le mien, mais c'est tout comme. Il souhaiterait surtout que ça aille dans son sens. Il se fiche bien de son travail, de ce qu’elle peut y faire. Tout ce qui le dérange, c’est un employé qui se retrouve dans un poste auquel il n’aurait pas dû prétendre, un poste qui n’est pas assez bien pour lui. Le père souhaite simplement avoir la main sur son fils. « Réfléchissez-y. Pensez bien au fait que vous aurez toujours votre mot à dire. » insisté-je, afin de la mettre en confiance. « Recontactez-moi et nous en reparlerons lorsque vous y verrez plus clair. » Patient, je le suis. Leibnitz un peu moins, mais il faudra bien qu’il se fasse à l’idée qu’il ne peut pas tout avoir sur un plateau doré en un claquement de doigts.

 « Je comprends, c’est un sacré changement. Relisez le contrat, envoyez-moi vos interrogations par mail. » il sort une petite carte, il la sort et la fait glisser sur le bureau. tu la prends avec le sourire, tu la regardes. elle sent l'argent, à plein nez, elle sent le pouvoir et maintenant tu as légèrement peur de te laisser aller, de lui laisser trop de pouvoir, ou alors tu as simplement peur de perdre ton pouvoir à toi ? « Il ne s’agit pas uniquement de ça. Sur un plan personnel, ce projet m’affecte particulièrement. Cette personne qui s’est attardé sur votre agence est une très cher ami qui souhaiterait la voir évoluer de la plus belle des manières. » tu hoches la tête, tu prends note. est-ce que tu peux le croire ? tu ne peux t'empêcher d'être méfiante, tu as tellement vécu de choses dans le passé, tu ne peux pas faire confiance aussi facilement, même si ce qui te dit pourrait être convaincant. « Réfléchissez-y. Pensez bien au fait que vous aurez toujours votre mot à dire. Recontactez-moi et nous en reparlerons lorsque vous y verrez plus clair. » qu'il finit par terminer, alors c'est la fin de l'entretien ? certainement, tu as eu ce que tu voulais. « c'est ce qui me rebute légèrement. qu'est-ce qui pourrait m'assurer que j'aurai toujours mon mot à dire ? je n'ai que 70% de liberté, quelque part, ce n'est pas si énorme. » que tu reprends, en te levant finalement, tu te baisses doucement, tu prends la carte, tu la prends et tu la gardes dans ta main. « je vous recontacte, dans trois jours, je vous recontacte pour ma décision finale. Merci de m'avoir reçu. » tu souris, un sourire sincère et tu lui tends ta main, tu restes professionnelle.

« Il va falloir me croire sur parole. » dis-je, simplement. « Vous êtes la fondatrice de cette agence, vous savez mieux que quiconque ce dont elle a besoin. Je tiens cependant à me garder une bonne marge de manœuvre. » Ce ne serait pas suffisant si j’en avais bien moins. « Toutes les décisions que nous prendrons, nous en discuterons avec vous. » Je ne lui assure pas qu’elle aura le dernier mot, parce qu’elle ne l’aura pas toujours. Concernant son personnel, elle ne sera certainement pas d’accord avec nos choix, mais c’est un risque qu’elle peut prendre. Après tout, qu’est-ce que c’est, la perte d’un développeur Web ? Il y en a sur le marché, des compétents, qui sauront aisément le remplacer. Personne n’est irremplaçable. Je lui serre la main et l’accompagne jusqu’à la porte du bureau que j’ouvre. « N’hésitez pas à me contacter à la moindre question. » Je la conduis dans le couloir, puis jusqu’à cet ascenseur que j’appelle. J’insiste pour qu’elle me fasse part de ses interrogations, pour mieux répondre à ses craintes. Ce qui l’empêche de faire un pas en avant, ce sont les trente pour cent de la boîte qu’elle n’aura plus, trente pour cent qui ne sont pas négligeables, qui me laissent suffisamment de liberté pour faire beaucoup de ses locaux. Les portes automatiques s’ouvrent, se referment derrière elle et je reste face à cette cabine jusqu’à ce que Mademoiselle Khiel ne soit plus dans mon champ de vision, pour ensuite me tourner vers mon assistante afin de prendre connaissance des appels qu’elle a eu ce matin.