vicktoria | coïncidence bien placée.

Coïncidence bien placée

L'image semble se figer. Le temps, comme ralentit, te laisse le temps de voir la chute de la gamine. Ton cœur manque un battement. Il ne te faut pas plus d'une seconde pour réagir et te précipiter vers elle pour l'aider à se relever. Tu as peur. L'inquiétude au ventre ne te quitte pas, même une fois la petite sortie de l'eau. Son rire devrait te faire comprendre que ce n'est rien, que ce n'est pas grave du tout, mais tu es prisonnière de la frayeur qu'elle vient de te faire. Ton visage reste figé, même si tu comprends qu'elle va bien et que tu peux la laisser tranquille. Un pas en arrière. Tu veux sortir de l'eau, maintenant. Jusque là, tu n'as pas eu trop de mal à ignorer dans quoi tu pataugeais. L'un des effets positif de la panique et de la culpabilité pour le coup. Deux pas. Ton petit cœur commence à se calmer, ce qui laisse le temps à ta tête de te rappeler où tu te trouves. Tes muscles se raidissent. Impossible de faire un pas supplémentaire, le courant t'emporte en te fauchant sans pitié. Un cri de surprise et de terreur t'échappe avant que l'eau ne te submerge. Tu sais nager, mais te retrouver dans cette situation te fait perdre tous tes moyens. Tu t'agites, bêtement, jusqu'à ce qu'on te relève. Le calme ne te revient pas immédiatement. Contrairement à ta petite protégée tombée avant toi, tu es totalement traumatisée par cette chute. Le visage trempé, on ne voit pas les quelques larmes de terreur qui ont perlées sur tes joues. Tout ton corps tremble, et pas seulement de froid. Mais Azel est là. C'est lui qui te porte jusqu'à la plage. Lui dont tu croises le regard avant de retrouver le sable. Son regard. Il te perd, te rassure. Tu aimerais rester un peu plus dans ses bras, garder la chaleur de sa proximité. Il te lâche. S'éloigne. Déstabilisée, par ta chute comme par sa réaction, tu laisses ton corps s'allonger pour reprendre ton souffle. Les enfants s’agglutinent autour de toi. Deux t'appellent. Pas de réponse. Tu fermes les yeux, ailleurs. Malgré tes dents qui claquent de froid, tu en entends un troisième dire « Mais fais quelque chose ! » alors qu'un autre cri qu'il va chercher Marie. Aucune réaction. T'aimerais que ce ne soit qu'un cauchemars. Mais c'est la réalité. Et il va falloir que tu te relèves.

oui. tu devrais partir. laisser vicktoria et les enfants tranquilles. ne pas les obliger à te suivre, toi et le chien. ne pas obliger vicktoria à rentrer dans l'eau, même implicitement. et pourtant, tu savais que tu pouvais pas la laisser là, en panique. tu savais ce que c'était la panique. tu savais qu'on était dans un autre monde. ça t'étais arrivé plusieurs fois, étant gamin. pour tout, pour rien. t'avais pas une phobie particulière, mais des fois, ça arrivait. et tu savais pas ce que ça faisait si c'était une peur, mais tu te doutais bien que ça devait être encore plus destructeur. t'entendais les gosses qui lui parlaient, qui lui demandaient de bouger, qui s'inquiétaient. et toi tu faisais rien. puis t'en entend un autre, un qui dit à quelqu'un de faire quelque chose. tu sais pas à qui il parle, peut-être à vicktoria, peut-être à l'autre éducatrice, peut-être à toi. mais qui que soit celui à qui il ordonnait ça, le gosse avait raison. il fallait faire quelque chose. tu sers les poings, tu sers les dents et tu te rapproches. la collègue de vicktoria n'était pas encore là, elle était plus loin, et tu voyais qu'une enfant était partie la chercher. mais on avait pas le temps d'attendre que la collègue de la jolie châtaine arrive, alors tu te faufiles entre les enfants, de toutes manières, tu les dépasse tous de haut. très haut. et tu t'accroupies en face de vicktoria, tu pauses tes mains sur ses épaules, tes pouces font des gestes rotatifs sur ses clavicules, sur ses épaules. tu essayes de la faire reprendre conscience de ce qu'il se passe autours d'elle, d'une manière douce. tu sais qu'il faut pas être brutal. que ça servira à rien de crier. alors tu te tournes à moitié vers les enfants, et d'un doigt sur la bouche, tu leur montre qu'il ne faut plus faire de bruit, qu'il ne faut pas crier. bizarrement, ils comprennent assez bien, et ils se taisent tous, toujours agglutinés autours de vicktoria, autours de toi, autours de vous. « hey, vick. ça va, ça va aller. t'inquiètes. » tu murmures, enlevant tes mains des épaules de la brune pour les poser sur ses joues, pour chasser les gouttes d'eau, ou de larmes qui perlaient sur son joli visage porcelaine. puis, délicatement, tu retires des mèches, mouillées, tu les mets sur le côté. et tu continues de te demander si c'est la bonne chose à faire. si elle ne va pas prendre la chose mal. si elle ne va pas t'en vouloir, si elle ne va pas te dire que c'est à cause de toi que la petite est tombée. puis t'entends des gens arriver, elles parlent, fort. c'est la collègue de vicktoria. d'un bruit tu lui montre qu'il faut qu'elle se calme, qu'elle ne crie pas, elle non plus. puis elle arrive prêt de toi, et c'est là que tu lui laisses la place. tu récupères laïka qui s'était mise sur le côté, qui elle aussi, était parmis les enfants, mais elle, elle devait pas s'inquiéter, elle, elle devait pas comprendre. t'aimerais, toi aussi, pas comprendre certaines choses. non, toi, au lieu de pas les comprendre, tu les enfouies, et tu te les caches. les sentiments, surtout. alors tu t'éloignes, rattachant laïka. tu vas prêt de l'eau, et tu les regarde. enfin, tu regardes surtout vicktoria, tu veux surtout voir si elle sort de son état de panique. et quand tu seras sûr qu'elle va bien, tu partiras. tu les laisseras. tu peux pas rester plus, c'était une erreur. et tu considères que s'en est encore une, de rester, là, à attendre de la voir.

Coïncidence bien placée

Déconnectée. C'est le mot. C'est ce que tu sembles être aux yeux des enfants. Tu as l'air perdue, loin de tout. Loin de la réalité. Loin de cette plage, de l'eau agité, des gamins inquiets. Loin d'Azel. Le regard vague, fixant l'invisible, tu ne réagis à rien. Tu n'essaies pas de rassurer les enfants. Parce que tu ne l'es pas toi-même. T'es morte de trouille, liquéfiée par ce qu'il vient de se produire. L'océan. Ta plus grande phobie. L'impression que les vagues t'entraînent dans les abysses et te tuent, noyant lentement tes poumons d'eau salée. C'est comme si tu y étais. Sauf que ce n'est pas le cas. Parce qu'Azel était là. Parce qu'Azel t'a sauvé en te remmenant sur la rive. Parce que lui il n'a pas une peur stupide des fonds marins. Lui, rien ne semble l'atteindre. En fait, c'est impossible de savoir ce qu'il pense. T'arrive pas à le cerner. Un coup il semble s'intéresser à toi, parfois en donnant l'impression que c'est pour de mauvaises raisons, et le coup suivant il se fiche totalement de tout. Sûrement pour cette raison que tu t’intéresses à lui sans te l'admettre. Ouais, tu refuses de l'admettre à cause de ta petite fierté personnelle parce qu'il t'a pourrit une soirée mais dans le fond t'aimes bien passer du temps avec lui pour apprendre à le connaître. Il est pas comme tu le pensais, la preuve.

Il y a des voix. Du mouvement. Tu émerges lentement de tes pensées, te remettant de cette frayeur. Ce qu'il s'est passé entre ta chute et l'instant où le grand brun se trouve près de toi a totalement été effacé de ta mémoire. Parce que tu n'étais pas vraiment là. Il parle. Tu comprends la moitié de ses mots, mais sa voix est rassurante. Ses mains aussi. Elles sont chaudes. Douces. Elles t'apaisent. De tes épaules elles passent à tes joues. Tes yeux se lèvent pour se plonger dans les siens au lieu de se baisser vers le sable, honteuse d'avoir cédé à la panique si facilement. Puis, une fraction de seconde après, il n'est plus là. Il s'est levé, s'est éloigné. Tu aurais voulu le retenir mais aucun son n'est sortit de ta bouche. Comme la petite sirène, tu as perdu ta voix en posant les pieds sur la terre ferme. Marie demande si tu vas bien, elle demande ce qu'il s'est passé. Tu réponds pas. Tu tends juste la main, cherchant du regard celui qui t'a sauvé de l'océan. Elle t'aide à te lever et tu tangues. T'essaies de retrouver ton équilibre mais t'es encore un peu désorientée. Il est là. Trop loin. Inaccessible. Tu avances quand même, titubant par moment, jusqu'à te trouver pas trop loin de lui. « M … Merci ? » dis-tu, sans être sûre de ce que tu dis. T'as envie qu'il s'approche à son tour, qu'il te prenne dans ses bras pour te rassurer encore un peu.

elle parle pas, t'entends pas sa voix. peut-être parce que t'es trop loin, peut-être parce que tu devrais te rapprocher, pour entendre si elle répond à sa collègue. mais non. non, tu le feras pas. parce que tu dois partir. enfin, tu veux pas partir, t'y es pas obligé non plus. mais t'as l'impression que c'est ce que tu dois faire. parce que t'es un peu con, des fois. non, pas qu'un peu. et pas des fois. le pire, c'est que t'entends sa collègue parler, de là où t'es. alors tu devrais l'entendre, elle aussi, si elle répond. mais elle répond pas. de là où t'as, tu la vois très bien. tu la vois, toujours assise. mais tu vois qu'elle relève la tête, tu vois qu'elle essaye de se lever. d'ailleurs, sa collègue, elle l'aide. mais elle titube, elle a du mal. la panique, c'est ça. elle a mit du temps à revenir à elle, mais elle est revenue. elle est debout, et toi, t'hésites à les laisser, à la laisser, maintenant que t'as vu qu'elle s'en est plus ou moins remise. ou qu'en tout cas, elle n'a pas besoin de toi. non mais qu'est-ce que je raconte moi ? évidemment qu'elle a pas besoin de toi. elle a jamais eut besoin de toi. c'est toi qui t'incruste dans sa vie, qui la harcèle presque pour avoir un rendez-vous avec elle, puis qui obtient son numéro. alors non, elle a pas besoin de toi. elle vivrait de la même manière, sans toi. elle, par contre, elle a changé quelque chose, pour toi. elle a occupée une soirée au bar qui te semblait ennuyante, elle t'a fait rire, elle t'a fait frissonner rien qu'en te regardant. mais c'est finit. ça doit se finir. tu veux pas que ça aille plus loin, parce qu'en fait, tu comprends même pas pourquoi t'as ressenti tout ça. alors tu dois partir, avant qu'elle te voit. sauf que non, c'est trop tard. ses iris bleues ont croisées les tiennes. elle s'approche. elle a du mal à marcher, encore. mais elle le fait seule. elle s'approche. toi tu veux reculer. mais tu peux pas. en fait, tu veux aussi t'approcher, et tu veux l'aider. mais tu peux pas. tu restes planté là, comme un con, laïka attachée à sa laisse, et tes lunettes de soleil déposées sur ton nez, devant tes yeux. elle murmure quelque chose, tu l'entends pas trop. mais t'es à peu près sûr d'avoir compris ce qu'elle dit. elle te remercie. ta langue claque sur ton palet. tu sers les poings. et tu t'avances. un peu. quelques pas. t'es à un mètre, peut-être deux, d'elle. tu peux pas aller plus loin. tu te bloque. « t'as pas à me remercier, j'n'ai rien fait. » tu souris faiblement, mais ça sonne faux. tes yeux, ils parcourent son visage crispé, toujours un peu effrayé. tes yeux, derrière les verres teintés de tes lunettes, ils croisent les sien. mais elle te regarde pas dans les yeux, elle, elle sait pas où ils sont, tes yeux. puis ton regard dévie. tu regardes la continuité de la plage, tu regarde les alentours. « je vais vous laisser, je dois partir, je suis désolé. » tu peux être désolé, oui. et t'es désolé pour plusieurs raisons. t'es désolé de lui avoir parlé cette nuit là, au bar. t'es désolé de l'avoir attendu devant l'hôpital. t'es désolé de lui avoir demandé son numéro. t'es désolé de l'avoir recroisé aujourd'hui. t'es désolé d'être resté avec eux. t'es désolé que, par ta faute, elle soit allé dans l'eau, et qu'elle ait paniqué. t'es désolé, et tu pars, tu tournes les talons, tu prends laïka avec toi. et tu sais même pas si tu vas la rappeler. et tu penses pas que tu vas la rappeler. non.

Coïncidence bien placée

Tout le monde est là, autour de toi. Ils attendent une réponse, un signe qui voudrait signifier qu'ils n'ont pas de raison de s'inquiéter. Mais t'es encore trop loin d'eux. T'as encore la tête sous l'eau. En vérité, il n'y a que lui qui te sort de cette noyade. Dans tous les sens du terme. T'immerges uniquement pour le voir, uniquement pour aller vers lui. Ses lunettes de soleil sur le nez, il cache ses yeux comme pour éviter tout contact avec toi. On dirait qu'il veut fuir. Parce qu'il veut fuir. Mais il ne le fait pas. Il reste là, loin de toi. Tu as beau avancer, cette distance ne se réduit pas pour autant. Et quand c'est à son tour de faire quelques pas en ta direction, il se garde bien d'être à porté de main. Il met une barrière. Une barrière qui te fait frissonner. T'as la nausée à cause de la peur. Parce qu'il s'éloigne, et ça t'effraie. Là, maintenant, t'as besoin de lui. Il t'a cassé les pieds durant des jours pour t'approcher et tout d'un coup il abandonne. Il t'abandonne. Sa voix est presque froide. Elle est pire que la morsure du vent sur ta peau mouillée. Il sourit mais c'est pas lui. Le Azel que tu as rencontré il y a quelques semaines était beaucoup plus chaleureux. Et en moins de temps qu'il n'en faut, tu te heurtes à un bloc de glace. Intérieurement, tu t'effondres. Tu sais pas pourquoi mais ça te tue de le voir s'éloigner sous prétexte qu'il doit partir alors que, deux minutes avant ta chute, rien ne pressait. Il voulait rester et maintenant il part. Il cherche pas à savoir ce que tu en penses, contrairement à d'habitude. Il part, comme ça. Sans dire au revoir. Sans t'approcher. Sans te regarder pour de vrai. Tu restes plantée là, quitte à t'enraciner. Marie finit par venir, une grande serviette dans les bras, pour venir t'envelopper. Elle t'emmène à votre mini campement, mais toi t'es toujours face à Azel. Tu réponds sans savoir ce que tu dis, tu souris sans savoir à qui. Il est partit. Tu restes bloquée sur ce détail, anéantie sans comprendre pourquoi ça te fait si mal sur le moment. Y a quelque chose qui s'est brisé. Ce sont les morceaux de ce quelque chose qui t'entaillent, comme du verre. Et tu finiras par savoir ce que c'est, parce qu'il n'y a que comme ça que tu pourras tout réparer.

HRP:

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