IZAO + (le retour au pays)

• je marche dans les rues de biarritz, mais deux valises pleines à craquer et presque aussi grandes que moi, derrière moi. je les traîne assez difficilement faut le dire, mais c'est parce qu'elles sont pleines de trois ans de souvenirs. j'ai presque aucun des vêtements que j'avais pris en partant. j'ai changé de style au moins cinq fois entre temps, c'est pas ma faute. je regarde l'adresse sur mon téléphone. merci papa. parce que sinon j'aurais vraiment nul part où dormir. et aller à l'hôtel dans sa propre ville, je trouve que ça craint pas mal. oh, j'aurais pu rentrer chez moi, mais j'avais pas envie de rentrer vivre chez les parents. j'ai vingt-et-un ans, je suis divorcée -alors, ça, ça me fait toujours autant rire de le dire- j'ai passé l'âge d'aller chez eux. et puis je suis sûre que ma chambre leur sert de débarras. j'ai eu mon père au téléphone, il m'a gueulé dessus, pour me dire que j'aurais pu prévenir avant que je revenais. à croire qu'il a pas encore compris que je prenais ce genre de décisions sur un coup de tête. j'étais chez des amis à paris, et puis, je me suis réveillée sur les coups de deux heures, j'ai checké les horaires de train pour aller à biarritz, et je me suis barrée, après leur avoir laissé un papier. je me demande à combien de gens j'ai pu faire peur à partir comme ça, sans prévenir.
• il a compris que je voulais pas revenir chez lui, mais que j'avais nul part où aller sinon, alors il m'a donné l'adresse de danao -c'est dégueulasse cette boisson en plus. j'ai eu beau essayer les recettes de tous les pays dans lesquels je suis allée, c'est toujours aussi infâme-. le numéro de son appartement m'a fait rire un moment parce que j'ai deviné de suite que c'était pour ça qu'il l'avait choisi. 007. nan mais ce gars est complètement barré. et après on me dit que je suis dingue, hein. moi je choisis pas où je vais vivre en fonction d'un chiffre. et puis j'aime pas james bond. j'aurais pu appeler un taxi, tiens. ça m'aurait évité de me balader avec ma couronne de fleurs dans les cheveux, et ma grande robe longue. et ça m'aurait surtout évité que tous les gens me regardent de travers et se demandent entre eux si les hippies c'est revenu à la mode. ou que les sales gosses mal élevés me demandent où est mon van, et si je vais leur dire de faire l'amour et pas la guerre. j'arrive dans l'immeuble et regarde au rez-de chaussée, pour me rendre compte qu'il n'y a pas d'appart' ici. et que l'ascenseur est en panne. c'est une clause obligatoire à respecter, ou bien ? enfin bref. je monte mes deux valises, une après l'autre, et puis je cherche le numéro 007. je sonne, tape, histoire de faire croire que c'est urgent, et qu'il finisse par venir m'ouvrir. je le connais, il est cap de faire semblant de pas être là si il a pas envie d'ouvrir. il ouvre la porte et je lui adresse mon meilleur sourire angélique. « coucou. c'est moi. j'ai nul part où dormir, alors tu vas être gentil et faire une ptite place à ta grande sœur préférée. » ooooh, mais c'est qu'il fume des joints maintenant ? j'attrape celui qu'il a entre les lèvres et tire dessus. oui, sans pression.

• le oh non pas toi en ouvrant la porte, je l'ai clairement entendu, abruti. mais si ça te fait chier que je vienne, tu te doutes bien que je vais me faire un plaisir de rester encore plus longtemps. non, parce que ne croyez pas que rester chez ce crétin soit une solution définitive, hein. si je reste plus d'un mois, je me trouverai un ptit truc, pas besoin de voir sa gueule tous les matins au réveil. je tire sur le joint -j'ai d'ailleurs décidé que comme je le lui ai volé, il est à moi, donc sur mon bédo- et il commence déjà à râler, en énumérant différents points. je fais un petit geste de la main, comme pour lui dire que ce n'est absolument pas important. « je parlais pas en taille, mais en âge -et si je mettais des talons, tu tirerais la gueule et tu me dirais que je suis habillée comme une pute- ensuite, j'me suis dit que j'avais passé l'âge de vivre chez mon père, eeet tu sais pas à quel point j'ai grandi, pendant trois ans. » je ne relève pas le fait qu'il m'aie dit que je ne suis pas sa soeur, parce que quelque part, c'est vrai. et que ça me vexe toujours qu'il mette le sujet sur le tapis. je le prends toujours mal, même quand c'est pour rire. il y a des sujets, comme ça, qui ne changent pas, même les années passant. je le connais très très bien. pour moi, je suis sa sœur. point. et je déteste qu'il me rappelle que c'est faux. il me reprend le joint et va chercher mes valises. et quand j'essaie de le lui reprendre, il m'évite d'un mouvement de la tête. alors, je croise les bras, et fais mine de bouder. « volé c'est volé. reprendre c'est... je sais pas. mais c'est trop nul et trop méchant. »
• vous voyez, quand je suis avec ce gars y a un sacré changement qui s'opère chez moi, et je perds dix-sept ans d'âge mental. d'un coup. je me remets à bouder, à menacer de le balancer, comme si j'en avais quatre et que je n'étais qu'une gamine, et que je n'entrais pas dans le monde des adultes. je vis encore dans mes rêves de petite fille, ma mère me le reproche parfois. mais jamais très longtemps, quand elle comprend que je suis heureuse comme ça, que mon cœur va bien et que je ne deviens pas dépressive, accro aux médicaments, à mener une vie monotone. je fais une petite moue, limite déçue, pour bien le faire culpabiliser, parrce que je sais qu'il a fait exprès de ne pas me prendre dans ses bras. certainement que je l'ai réveillé, ou que je l'ai tiré de ses rêveries. « donc je suppose que comme tu es d'humeur aussi charmante que le danao à l'orange est bon, je peux me brosser pour avoir un câlin, et un bienvenue chez toi ? » parce que je le sais, au fond, qu'il est content de me revoir. ça fait trois ans que j'ai pas vu sa sale gueule de beau gosse, il peut pas faire la tronche le jour de mon retour. ça devrait être interdit même. « c'est moi ou t'es devenu suuuuuper moche ? » je dis ça pour l'embêter, parce que depuis que je le connais, le faire chier est devenu ma grande passion. ma tâche numéro un à accomplir dans la journée. et je peux commencer dès le réveil, il est rare qu'il soit dans les vapes quand il se lève -sauf quand il a une bonne gueule de bois, mais là c'est pas pareil. je suis chiante, mais pas cruelle-.

• il la fait chier, autant qu'elle l'a fait chier juste avant, parce que c'est comme ça qu'ils fonctionnent et qu'ils fonctionneront toujours comme ça. parce qu'entre eux ça 'a jamais été différent. et c'est tant mieux. ils ne sont pas du genre à se faire des câlins dès qu'ils se croisent, comme dans les films. ça chez eux, ça existe pas. la preuve. trois ans sans se voir, et ils sont pas perdus dans les bras de l'autre, à se serrer à s'en péter les côtes. non. izao passe à côté d'elle, la rôle et part s'affaler dans le canapé sans autre forme de procès. alors elle plisse les yeux, vexée et frustrée d'avoir attendu quelque chose de lui, alors qu'elle sait très bien qu'elle n'aurait pas dû. c'était encore trop tôt pour qu'il ose se montrer un minimum tendre avec elle. un des chats s'étire et miaule, tout aussi agacé d'avoir été réveillé de sa sieste. elle l'attrape doucement et le pose sur son épaule, comme sasha et pikachu. elle les aime, les chats d'izao, et elle se demandait ce qu'ils avaient bien pu devenir en son absence. certainement gêné par la position inconfortable qu'elle lui avait donné, batman se redresse et saute, les pattes écartées. paraît qu'ils sont censés retomber sur leurs pattes... il avait pas dû écouter les consignes avant de débarquer celui-là. pas pour rien qu'ils l'avaient appelé comme ça. il lui dit qu'elle est restée aussi chiante qu'avant, et il lui sourit. et elle sourit aussi. ils n'ont aucun lien de sang, mais ils ont tous les deux la même étincelle dans les yeux lorsqu'ils se parlent et qu'ils veulent se faire comprendre quelque chose. il e redresse un peu, pour lui faire de la place et elle ne se fait pas prier.
• elle vient se blottir dans ses bras sans attendre, calant son visage dans le cou de son presque frère, et fermant les yeux, profitant de l'agréable sensation qu'est celle de rentrer à la maison. il ébourriffe ses cheveux blonds, et pour une fois, elle le laisse faire, elle ne râle pas qu'il la décoiffe. de toute manière, avec le voyage, ça ne ressemble plus à rien depuis longtemps. il lui fait remarquer qu'elle n'a pas grossi depuis son départ et elle sourit, sans bouger d'entre ses bras « mais qu'est-ce que tu crois ? que je me dorais la pilule dans un hamac, un verre à la main ? je bossais, moi, hein, et en général dans la restauration. comment tu voulais que je prenne du poids ? » la vérité c'était même qu'elle en avait perdu, mais elle ne voulait pas le lui dire. elle le connaissait, il allait s'inquiéter ensuite, et commencer à râler et à lui en vouloir, à lui dire qu'il fallait qu'elle fasse plus attention. elle ne voulait pas de ça. « par contre, toi, la vie tout seul, ça te réussis bien, hein, tu commences à devenir gros. » c'est faux. il est plus musclé qu'avant, mais il est loin de devenir gros. elle se doute bien qu'avec les entraînements de gym qu'il doit avoir, il n'a pas de quoi grossir. mais elle le charrie, comme d'hab'.