(Dorian) save me

La soirée commence juste. Dorian n’arrive pas à se reposer et il lui est impossible de rester dans son coin, chez lui, se planter devant la fenêtre à fumer comme un pompier. Il se lève de son canapé, paquet de cigarettes en main et sort de son appartement. Il tombe nez à nez avec la petite vieille d’un étage plus haut. Elle s’arrête, le jauge du regard, attend qu’il s’en aille. Dorian hausse les épaules dans un soupir, dévale les escaliers menant au rez-de-chaussée et quitte les lieux. Elle l’exaspère. C’est la commère de l’immeuble, celle qui raconte tout et n’importe quoi sur son compte. Dorian en a entendu des vertes et des pas mûres à son sujet, comme quoi il est fort possible qu’il soit un psychopathe, mais ça lui est égal. Il se fiche bien de ce que peuvent penser les autres de lui, ça lui passe au-dessus de la tête. L’homme prend son portable, appel le bar pour demander s’ils ont besoin d’un coup de main, mais on ne lui répond pas. Probablement qu’ils ont trop de monde, probablement qu’ils ont besoin de lui, alors il prend la direction de son lieu de travail, dépasse certains bars, puis s’arrête d’un coup. Il fait quelques pas en arrière, tourne la tête sur le côté en ayant cru apercevoir une personne dans un sale état, une tête qui ne lui est pas inconnue, mais il a comme un doute. « Est-ce que ça va ? » demande-t-il, en s’approchant un peu plus et là il la reconnait. Maona. Cette fille un peu paumée qu’il a déjà rencontré dans son bar, qui est venue à plusieurs reprises même. L’alcool, elle n’a pas arrêté. « Maona ? » qu’il dit, en tendant la main vers elle, prêt à poser celle-ci sur son bras. Elle ne va pas bien, elle-même le dit. Elle est comme lui, à ne pas trouver un objectif à sa vie, à se laisser tomber dans une chose pour se sentir mieux, mais il ne peut pas la laisser se détruire de la sorte, sans faire quelque chose. Dorian, il l’aime bien Maona. Il ne la connait pas beaucoup, mais il a eu un bon feeling. « Tu veux venir chez moi ? » Peut-être bien qu’il n’aura pas à travailler, qu’il sera trop occupé à prendre soin de ce brin de femme qui s’écroule d’un coup, sans qu’il ne l’ait vu venir. « Merde. » souffle-t-il, paniqué, en s’approchant aussitôt de Maona. Il connait les premiers gestes de secours, alors il se débrouille, fait comme il a appris à l’armée, la met en position latérale avec ses bras bien positionnés, sa jambe fléchie, puis appelle le SAMU en expliquant qu’il a fait le nécessaire pour les premiers secours, mais qu’il n’est pas en mesure de faire le reste. Dorian précise le nom de la rue rapidement, reste en ligne avec une femme au téléphone qui lui indique qu’ils sont sur la route, qu’ils ne vont pas tarder à arriver et c’est au bout de dix minutes qu’il voit enfin des gens se précipiter dans la ruelle pour prendre la relève. Dorian entre avec eux, avec la valise de Mao, pose sa main sur le visage de Maona. « Vous êtes un ami ? » Il hoche la tête. « Oui. Je la connais. Je peux prévenir ses proches. » Il fouille dans son manteau, trouve son portable qui a un code, malheureusement. Il ne connait pas les noms de sa famille, n’est pas en mesure de contacter ceux qui comptent pour elle avec son portable inutilisable, mais il reste là, près d’elle, jusqu’à arriver à l’hôpital. On la prend rapidement en charge et une infirmière lui demande de rester dans le couloir. Il n’a pas le droit à les suivre, doit attendre. « Est-ce que vous pouvez vous renseigner ? J’ai sa carte d’identité. Impossible de naviguer sur son téléphone… Peut-être qu’en cherchant sur l’annuaire, vous pourrez trouver les Chatelain. » Il y en a sans doute beaucoup, mais on l’aide tout de même. Après plusieurs appels, il tombe sur une Solange qui lui raccroche presque au nez tant il la sent inquiète. Elle va venir. Elle est sur la route pour voir sa fille.

J’arrive en catastrophe à l’hôpital ; Solange m’a appelé. Sa mère. La nôtre. Elle m’a appelé moi et elle est là, dans le hall de l’hôpital, en compagnie d’un homme que je n’ai encore jamais vu. « Solange ? » dis-je, en m’approchant d’eux. Elle se tourne vers moi, les larmes aux yeux. Il s’est passé un truc grave, elle n’a pas voulu m’en dire plus au téléphone, s’est contentée de me dire que Maona était à l’hôpital et je n’ai pas attendu qu’elle me demande de m’y rendre que j’étais déjà dehors. Sans un mot, Solange m’observe, la bouche entrouverte, puis se blottit dans mes bras. C’est tellement surprenant, tellement inattendu que je ne sais pas quoi faire, comment réagir. C’est la première fois qu’elle fonce dans mes bras comme ça, la première fois qu’elle fait un pas vers moi, volontairement. « Qu’est-ce qui s’est passé ? Où est-elle ? » J’imagine le pire. Je revois la scène, avant son départ. J’aurais dû la rattraper. « Bonsoir, je… Votre femme ? » Il m’interroge, il a dû comprendre que j’étais son époux et j’acquiesce d’un signe de tête. Oui, Maona est ma femme. « Je l’ai trouvée avec une bouteille en main… » Il continue, mais ce qu’il dit ne me parvient plus à mes oreilles. Maona a bu. Elle a replongé juste après notre échange. Elle m’a demandé une seconde chance, elle a dit qu’elle m’aimait, qu’elle me voulait, moi et je l’ai rejetée. Je l’ai poussée à sombrer de nouveau, à reprendre l’alcool. « Ils l’ont amené au bloc. On n’a pas de nouvelles pour le moment. » « Merci. Pour ce que vous avez fait, merci. » D’avoir été là, d’avoir fait le nécessaire, de l’avoir sauvée, finalement, parce que sans son intervention… Je ne veux pas penser à ce qui aurait pu se passer, je ne veux penser à ce qu’on aurait pu m’annoncer. J’essaie de me convaincre que ça ira, qu’elle est entre de bonnes mains, que dans quelques instants, on viendra nous voir pour nous rassurer. Je pose mes mains sur les épaules de Solange,  recule d’un pas, puis fais quelques pas dans le couloir, passe ma main sur mon visage. Vingt minutes passent, certainement les plus longues, pendant lesquelles je me remémore notre dernière confrontation… C’est long, beaucoup trop long. J’arrête un docteur, lui demande s’il y a des nouvelles de Maona, mais il n’en a pas. Alors j’attends, je marche, je me tourne vers Solange qui laisse ses larmes rouler sur ses joues. « C’est ma faute. Je lui ai dit que je ne pouvais pas lui pardonner, que je ne pouvais plus vivre comme ça… Je l’ai repoussée. J’ai refusé de lui donner une autre chance. » Elle ne doit pas tout comprendre, elle doit se demander ce qui a bien pu se passer pour qu’on en arrive là, mais je suis en panique. « Madame Chatelain ? Monsieur Deribay ? » Je me tourne vers le docteur qui s’arrête face à nous, avec un sourire qui se veut réconfortant. « Elle va bien ? Est-ce que Maona va bien ? » C’est tout ce qui m’importe. Qu’elle aille bien, mais son air ne me dit rien qui vaille et l’annonce tombe. Elle a fait un coma éthylique, elle a trop fortement consommé de l’alcool, elle… Elle est dans le coma. Elle a perdu le bébé. Elle ne l'a plus. Solange s’effondre de nouveau. « Est-ce que je peux la voir ? » Il acquiesce d’un signe de tête, nous guide jusqu’à la chambre et nous laisse ensuite. « Je repasserai la voir un peu plus tard, je vais vous laisser avec elle. » Je remercie l’homme encore une fois et me tourne vers la chambre dont la porte est ouverte. Elle est là, allongée dans ce lit, les yeux fermés… « Je m’en veux tellement de ne pas avoir été là, de ce que j’ai pu faire… » « Je t’en veux aussi. Pour beaucoup de choses. Pour ne pas lui avoir dit la vérité plus tôt. Si elle a sombré dans l’alcool, si… Si elle s’est tournée vers son ex, c’est à cause de toi, de ce que tu lui as fait, de ton égoïsme. » Et c’est encore très peu de choses. Je pourrais lui en reprocher tellement d’autres, mais là, à l’heure actuelle, j’en veux bien plus à moi. J’entre dans la chambre, suivi de près de Solange qui s’installe à son chevet, de l’autre côté du mien. Elle me regarde, tandis que mes yeux sont posés sur Maona. Je dépose un baiser sur son front, saisit sa main que je serre avec tendresse. « Je suis désolée, Eneko, pour ce que je vous ai fait. Je ne voulais pas que ça se termine comme ça. Je voulais que son bonheur. » Je ne réponds pas, tire sur une chaise et m’installe auprès de Maona. « Il faut que tu te réveilles ma chérie. Il faut que tu te sortes de là. » soufflé-je, en caressant son visage du bout des doigts, le cœur lourd, arraché. Il faut qu’elle rouvre les yeux.