maona + it's a small city, in a small world.

Quand tu as commencé la musique, tu savais que tu voulais être connu. C’était ton rêve, un fantasme à réaliser, et qui te rendrais fier de toi. Qui rendrait ta mère fière de son fils, et qui surtout te débarrassera des faux-principes que ton père à vis-à-vis de toi : te donner du fric. Mais tu n’avais aucune idée de  ce qu’il pourrait réellement arriver. Tu n’avais pas appréhendé que la vie d’artiste était chiante, pleine de promesses qu’on ne tient jamais, ou qu’on essaye tant bien que mal. Aucune vie sociale réelle, et des connaissances qui ne viennent que parce qu’on a du succès. C’est pour ça, que très vite, tu as décidé de rester dans l’anonymat. Un anonymat qui marche, car personne n’était au courant que tu étais Az’, mise à part ta mère, qui l’avait deviné dès qu’elle a entendu la voix de l’interprète à la radio. Mais ça, c’est le sixième sens des mères. Ce qui était sûr, c’est que cette décision d’être anonyme te permettait de vivre ta vie comme tu le voulais. Tu pouvais te balader dans les rues sans qu’on te demande si c’était bien toi, le chanteur de la région, ou que les quelques personnes qui savaient à quoi tu ressemblais et que c’était véritablement toi ne viennent te demander des autographes. Et ça, ça valait bien plus que toute la popularité que le monde pouvait t’offrir. La tranquillité, c’était ce qui t’allait le mieux. Alors c’est pour ça qu’aujourd’hui tu avais décidé d’aller manger sur une terrasse, avec une belle vue sur la plage qui se trouvait à quelques minutes et sur l’océan. C’était ça que tu aimais, à Biarritz. La beauté de la vue, le soleil chatoyant qui caressait ta peau à toute heure de la journée, en été comme en hiver, même si les températures étaient plus basses.  Et ce restaurant était une vraie merveille, autant par les décors chaleureux que pour les employés, ou encore la carte qu’ils présentaient. C’était simple, c’était bon, c’était tout ce qu’il te fallait. Et ce n’était pas comme s’il était rempli de monde, ce qui en faisait un service rapide en plus de ça. Les serveurs te connaissaient tous plus ou moins, ou en tout cas, ils t’avaient déjà vu, tous, sauf les nouveaux, au moins une fois. Dès que tu passas la marche pour arriver sur la terrasse en bois, tu observas les tables libres : la tienne était vide, et bien exposée au soleil. Les parasols n’étaient pas encore installés, vu ce début de printemps, qui laissait tout de même un peu de répit aux habitants de la région par rapport à la chaleur qui pouvait parfois être insoutenable. Tu rejoignis donc ta table, d’un pas tranquille. Tu n’étais pas pressé : tu n’étais jamais pressé.  Et on vînt vite prendre ta commande. Tu savais ce que tu allais prendre, bien avant d’arriver sur ce lieu, alors tu commanda la salade qu’il savaient le mieux préparer et que tu prenais, les midis où tu mangeais ici.
Tu te mis à contempler la vue, un air de ta nouvelle composition personnelle dans la tête, et la chantonnant mentalement. Ton chapeau pork posé sur la table, les mains groupées et la bouche reposant contre elles. Tu ne vis pas la jeune femme que tu connaissais un peu déjà, monter elle aussi cette marche, pour rejoindre la terrasse.

Tu tournes la tête vers celle qui venait de te parler, vers celle qui souriait. Tu la connaissais, un peu. Vous vous étiez déjà parlés même si ça faisais plusieurs jours, non, plus, plusieurs mois, que vous ne vous étiez pas vus. Tu te souvenais de son nom, il n’était pas commun, ou du moins, tu n’avais jamais entendus un nom comme le sien avant de la rencontrer. Maona. Une étudiante souriante avec qui tu avais pu sympathiser. Et visiblement, elle aussi se souvenait de toi. Tu esquissas un sourire en retour à celui de la jolie blonde et lui fis signe de s’asseoir avec toi : elle n’était pas venue seulement pour te saluer, et elle devait être là pour manger elle aussi, alors autant qu’elle se joigne à toi plutôt que de rester debout devant toi. Car si ça commençait comme lorsque vous avez sympathisés,  vous allez parler longtemps. Ou au moins le temps d’un repas sur une belle terrasse comme celle-ci. « Maona. » tu réponds pour la saluer en retour. Puis tu te rends compte que quelque chose cloche dans sa manière de parler, son sourire n’est pas le même sourire, ou du moins, pas le sourire aussi sincère que la dernière fois, et sa voix semblait cacher quelque chose. Tu ne la connaissais pas beaucoup, alors tu ne faisais que supposer qu’elle ne devait pas être au mieux de sa forme, mais cette neutralité dans la voix de la jeune femme te laissait perplexe. Mais tu n’en montras rien. « il fait beau, alors je vais bien. Et toi ? Je ne t’ai pas vue depuis un moment aux 100 marches. » le bar dans lequel tu travailles, c’est celui dans lequel tu as rencontré l’étudiante. Ce même bar où tu lui avais servit à plusieurs reprises des verres. De vodka, peut-être. Qu’elle boive autant t’avais intrigué, mais tu n’avais fait aucune remarque. Parce que ton métier était de servir les gens qui voulaient ce genre de boissons et d’encaisser leur monnaie, pas de les empêcher d’acheter, malgré leur âge, malgré leur état, malgré leur consommation. Tu l’avais fait, pour les cas trop durs, mais elle n’avait pas mal finit ces soirs là, la petite Maona. Puis tu te souviens qu’elle t’avait un peu parlée de ses études d’architecture. Peut-être que si, pour une fois, une toute petite fois, tu faisais un effort, pour t’intéresser à quelqu’un… « Tes études se passent bien ? ça doit bien t’occuper. »

Elle s’était arrêtée de sourire, et tu t’en étais bien rendu compte. Pourquoi à l’évocation du bar l’éclat dans ses yeux avait-il disparu ? Tu te posais cette question sans pour autant penser que tu pourrais y répondre un jour. Tu ne voulais pas déranger Maona avec tes questions, et de toutes manières, vous ne vous connaissiez pas suffisamment pour que tu t’intéresse à ce point à sa vie. C’était ses affaires, pas les tiennes, et tu t’en rendais bien compte. Alors tu continueras à lui parler comme une connaissance qui ne se doute de rien et ça se passera très bien. Et puis, de toutes manières, Maona était bien assez grande pour se débrouiller seule, et si elle n’allait vraiment pas bien elle devait avoir des personnes autours d’elle. Pas besoin que tu t’y rajoute sans qu’on t’y ait demandé. « oh euh ... je suis en stand-by là, j'ai eu ... enfin, j'ai des problèmes de santé et plus trop la tête aux études. » Et elle tente, encore une fois, de sourire. Et toi tu ne peux t’empêcher de froncer des sourcils. Des problèmes de santé ? Etait-ce encore le cas maintenant ? Et donc ça expliquerait son manque d’entrain évident, malgré tout ce qu’elle voulait laisser paraître. Tu acquiesce à ses paroles, ne voulant pas trop poser de questions sur un sujet qui pouvait être sensible, et ton attention se porte bien vite sur le serveur, qui avait vu Maona s’asseoir et était donc revenu pour prendre la commande de la jeune femme. Tu esquissas un sourire quand le serveur annonça que ça arriverait bientôt et te tourna de nouveau vers la blonde, dont le portable sonnait. Une musique que tu connaissais et qui te fis ouvrir grand les yeux. Ton visage se décomposa entièrement. Quoi ? C’était l’une de tes chansons. Une de ton album, pas la plus connue. Les quelques personnes qui avaient déjà entendus tes mélodies et tes textes à la radio locale ou passées dans les bars ne connaissaient sûrement pas celle-ci. Ils devaient connaître le "tube" que tu avais fait. Monsters are real, dont tu t’étais tatoué le titre sur le bras. Enfin, c’était bien avant d’enregistrer la chanson, ce tatouage, et tu regrettais maintenant de l’avoir mis à un endroit aussi visible. Suffisait que quelqu’un connaisse un peu tes textes et voient ton tatouage pour commencer à faire un rapprochement, minime, certes, mais un rapprochement. Et entendre une de tes chansons, ici, sortir du téléphone d’une connaissance te frustrais. Tu n’aurais jamais pu imaginer que Maona écoute tes textes. Alors quand elle s’excusa, tu lui souris, pour lui faire comprendre qu’il n’y avait aucun souci et tu passas ta main sur son menton, et ta barbe de trois jours.  « tu savais que ce type, qui chante là, dans ma sonnerie, bah ... personne ne le connait ? c'est fou ça. » Tu hausses les sourcils, mimant un possible étonnement de ta part et un rictus amusé se forme sur tes lèvres, pour cacher ta gêne. « Peut-être qu’il ne veut pas qu’on le connaisse ? J’ai entendu une ou deux fois ses chansons, et de ce que j’ai pu comprendre il ne s’est jamais montré en public, c'est ça? »

que la jeune femme écoute ta musique et apprécie te rendait heureux, quoi que tu en dises plus tard. Ça te soulageais de savoir que d’autres personnes que ceux de ton entourage apprécient ta musique, et ce, sans savoir qu’elle était de toi. Tu étais suspicieux concernant ta mère qui disait adorer ta musique. Après tout, ce n’était pas du tout son style de musique, elle était plus dans tout ce qui était originaire de la Grèce. Mais après tout, beaucoup de mères étaient fières de leurs enfants, même si elles n’aimaient pas particulièrement. Alors tu ne lui faisais jamais la remarque. « oui, c'est exactement ça, ce que je comprends quelque part. je pense comme toi, il ne doit pas vouloir être connu, ou reconnu. » tu esquissas un sourire, avant de te rendre compte que le serveur arrivait avec vos salades. Tu lui laissas la place de poser l’assiette sur ta partie de la table, qui était occupée par ton chapeau et le gratifia d’un regard quand il s’éloigna après vous avoir aussi apporté de l’eau. Ni toi ni Maona n’aviez commandés d’autre boisson, alors il en avait déduit que ça serait de l’eau, et pour toi, c’était tant mieux. L’alcool alors que tu t’étais réveillé, il y avait un peu plus d’une heure… tu remarques que Maona était restée plongée dans ses pensées. Puis ses yeux montrent qu’elle est de retour. « il doit aimer sa petite vie tranquille, dans la normalité, dans quelque chose qui lui concerne son anonymat et il a bien raison, on ne sait jamais, de nos jours, ce qui peut arriver. tout ça. »  tu acquiesce. Si seulement elle savait. Puis tu vois son sourire. Il y avait les sourires forcés qu’elle t’offrait il n’y avait même pas dix minutes, et ce sourire-ci. Sincère. Et tu la trouvais bien plus jolie, à sourire vraiment, alors tu ne peux t’empêcher de lui répondre aussi par un sourire, plus discret. « ça doit être ça. Après tout, il y en a qui percent en se cachant toute leur vie, peut-être qu’un jour… » tu dit en commençant à manger, sans en penser cependant un mot. Oui, certains perçaient, mais ce n’était pas ce dont tu avais envie, du moins, pas maintenant. Et c’était sans compter Romane qui voulait absolument que tu continues dans cette voix. Ta colocataire arrivera à ses fins, un jour. Mais ce jour là n’était pas encore arrivé, et tu espéreras longtemps qu’il n’arrive pas tout de suite.  « tu devrais écouter d'autres chansons, ça pourrait te plaire, les moins connus, enfin, celles qui ne passent pas à la radio sont vraiment émouvantes et enfin, je ne vais pas te faire un paragraphe argumenté dessus non plus. » tu souffles amusé par ce que venait de dire Maona. Et tu acquiesce, faisant mine d’y réfléchir, que ça pourrait t’intéresser. C’était la première fois que tu jouais à ce jeu avec quelqu’un que tu connaissais. Auparavant, tu n’étais tombé sur personne qui connaissait tes chansons, ou alors vous n’en aviez pas parlé. D’un certain côté, mentir à quelqu’un te dérangeait un peu, ce n’était pas ce que tu préférais. Tu avais beau ne pas parler beaucoup, tu n’étais pas de nature cachotière. Mais c’était ton choix d’être anonyme, alors tu devais t’y tenir. Et de toutes manières, la blonde serait capable de comprendre ce mensonge, si jamais un jour tu décidais de te dévoiler : la conversation que vous veniez d’avoir t’en donnait la preuve. « sans doutes, il faudrait que je vois. Je devrais bien trouver quelque chose sur internet. » tu ajoutes, en posant tes coudes sur la table et en ramenant tes mains à toi, dévoilant sans vraiment réfléchir ton tout premier tatouage.

elle commence à te répondre. Oui commence, parce qu’elle s’arrête et se focalise sur quelque chose, sur toi, comme si ce qu’elle venait de voir lui avait coupé toute envie, non, toute idée de ce qu’elle allait dire. Tu fronces les sourcils, attendant la suite. Elle, elle continue de fixer ton poignet, puis elle arrête de faire ce qu’elle faisait, elle arrête de manger, elle pose sa fourchette, elle lie ses mains. « soit c'est une énorme coïncidence, soit, tu te moques de moi Azel. » tu fronces les sourcils et réponds, tout de suite. « quoi ? » elle, elle sourit, elle est plus amusée qu’elle ne t’en veut, quoi que tu ais fait, parce que tu ne te doutes pas qu’elle a vue ton tatouage, parce que l’espace de quelques secondes, tu as oublié ce détail, toi qui fait si attention, d’habitude. « ton tatouage » elle annonce avant de faire un signe de tête vers toi, vers ton bras. Tes yeux s’arrondissent et tu enlèves tes coudes de sur la table, cachant ton poignet en l’entourant de la main. Mais c’était trop tard, elle l’avait vue, et à moins que tu ne trouves vite une raison valable pour expliquer ça, elle t’avait cramé. Et carrément. « c'est son premier titre. ton premier tube, en quelque sorte, celui qui passe souvent à la radio » tu mords tes lèvres. Elle avait comprit, vu comment elle parlait de ce titre, en t’en donnant l’attribution. Mais elle continue à sourire, comme si elle ne t’en voulait pas, comme si elle trouvait simplement ça drôle. « du coup, soit tu le connaissais déjà, et tu ne voulais pas l'assumer ... ou quelque chose de ce genre, soit c'est une énorme coïncidence, même si je ne suis pas certaine du hasard tu vois. » ta moue reste affichée sur ton visage, mais tu ne peux pas t’empêcher de sourire tout de même. Perspicace, intelligente. Tu pourrais bien dire que oui, ce devait être une coïncidence, que la citation n’était pas propre à cet artiste, ou que tu l’avais trouvé pertinente, que tu aimais bien les simples phrases comme ça, que tu avais envie de t’en faire un tatouage, sans pour autant écouter l’artiste qui avait pondu ce texte. Ou même avouer que oui, tu l’écoutes, si ça pouvait te permettre de t’en sortir. Mais après tout, tu n’aimes pas mentir. Tu le fais pour être tranquille, comme on en déduit de la première partie de votre conversation. Et Maona, du peu que tu connaissais d’elle, ne semblait pas être l’unes de ces filles qui iraient raconter à tout va qui tu es. Elle n’avait même pas haussé le ton pour annoncer qu’elle comprenait. Alors tu fermes les yeux, les laisse clos quelques instants, puis souris. « ça serait inutile de te mentir plus, puis, t’apprécierais pas tellement, je pense. » tu rouvres les yeux, hausses les sourcils et recommences à manger, comme si finalement, ce n’était pas grand-chose. Mais en fait, t’as les boules, parce que, le fait qu’elle sache, qu’elle ait deviné, signifierait que d’autres pourraient le comprendre, d’une manière ou d’une autre. « j’aurais peut-être dû faire plus gaffe. » tu lances, après quelques instants, en soufflant, amusé.

maona continue de sourire, discrètement, toujours un peu surprise par ce qu’elle vient de découvrir, et elle t’imite, elle aussi, elle mange. Et ce qu’elle dit, ça te fait plaisir, ça te touche, même. c’est gentil, c’est agréable, c’est maona. Tu avais déjà compris qu’elle ne forçait pas les choses, qu’elle restait simple, et tu l’en remerciais, mentalement, certes, mais tu la remerciais quand même. elle dit qu’elle va garder ton secret, et ça te fait sourire. Oui, c’est un secret, c’est ton secret, et c’est le secret qui commence à être découvert. Ta mère, puis auxence, puis romane, puis maintenant, maona. Oh, ce n’est pas grand monde, non. et au final, si c’est comme ça que ça doit se passer, et bien soit. Ça fait deux ans, même plus, que tu gardes ce secret. En deux ans, quatre, seulement quatre personnes l’ont découvert. Alors peut-être qu’il est temps que tu assumes. Mais tu ne sais pas trop, tu ne veux pas y penser, tu n’aimes pas avoir à y penser. Tu ne veux pas que ça devienne un fardeau pour toi, et c’est ce dont tu as peur, pourtant. « ça ne me gène pas, après tout, c’est peut-être mieux comme ça, que tu saches. » puis tu souris. Puis tu continues. « tu n’as pas besoin de promettre tu sais, je te crois, et je te fais confiance. » parce que maona, telle que tu la connais, le peu que tu connaisses d’elle, elle est douce, elle est gentille, elle est compatissante. Elle est joyeuse, aussi, même si aujourd’hui, elle n’en a pas trop l’air, m’enfin, c’est elle, c’est son problème, tu ne veux pas t’immiscer, tu ne veux pas la forcer, tu n’aimes pas ça, tu n’es pas comme ça. Et puis, même si elle ne tenait pas sa promesse, tu n’es pas rancunier. Si elle le dit, si d’autres l’apprennent… alors ce sera comme ça. Et soit tu prendras une vie d’artiste en part entière, soit tu abandonneras tout. ça n’arriverait simplement que plus vite que tu ne l’aurais crû. « je ... je suis alcoolique. » tu lèves la tête, surpris. « je ... c'est mon secret à moi ... » tu avales ta salive, lentement. Elle est gênée, tu le vois, tu le ressens, tu n’aimes pas ça, non, maona n’a pas à être gênée, pas devant toi, après tout, elle sait aussi quelque chose de toi, même si ce n’est pas réellement une honte. Tu la vois fermer les yeux, tu te sens mal, parce qu’elle n’avait pas à te dire ça. Et si elle s’était sentie obligée de te le dire, pour que vous soyez quittes ? Non, tu n’es pas d’accord, tu t’en fiches qu’elle sache quelque chose sur toi et pas le contraire, tant qu’elle va bien et qu’elle ne s’en veut pas. tu sers la mâchoire, tu ne sais pas quoi dire, tu ne sais jamais quoi dire, tu ne sais pas parler, toi. Tu ne sais pas rassurer les personnes, tu ne sais pas te montrer compatissant, tu peux être maladroit dans ce que tu peux répondre, et c’est pour ça, que tu parles pas beaucoup, en général. « c'est pour ça que ... je ne viens plus au bar. » tu te mords l’intérieur de la joue. Sous la table, tu joues de tes mains, de tes doigts, de tes bagues. T’essayes de trouver vite quelque chose à dire, t’essayes de trouver vite. Quand elle rouvre les yeux, tu as l’impression qu’elle peut craquer, à tout moment, et que les larmes pourront perler sur ses joues avant que tu puisses dire quelque chose. Alors tu avances simplement ta main, machinalement, tu sais pas trop si c’est bien, si tu dois le faire, mais tant pis, tu le fais, et tu lui prends la main, la serre brièvement, et tu lui souris. Le plus sincèrement possible, le plus compatissant possible. T’essayes de montrer que t’as pas pitié, parce que t’as pas pitié, mais ça peut être mal interprété, et tu sais bien que les gens aiment pas être pris en pitié. Alors tu veux pas que Maona pense que t’as pitié d’elle. « aucun de nous n’a la tête de l’emploi, alors. » tu dis finalement, en souriant une dernière fois et en enlevant ta main. T’espères qu’elle le prendra pas mal, t’as essayé d’être léger dans ce que t’as dit, de détendre un peu l’atmosphère, tu sais pas trop si ça va marcher, t’espères juste, parce que tu l’aimes bien, Maona.

Maona semble pas vexée, elle semble pas touchée à la négative, par ce que tu as dis. Et t’en est soulagé. Parce que tu appréhendais un peu, comme tu sais pas du tout t’y prendre. Mais tant mieux. Elle sourit, simplement, doucement, et tu lui répond de la même manière, parce qu’après tout avoir une tête d’enterrement vis-à-vis de quelqu’un qui fait un effort pour te faire la discussion, pour te sourire, et bah c’est pas cool. Puis son sourire reste sincère, alors comment ne pas répondre à un sourire sincère, alors que pour la pluparts des précédents, ce n’était qu’une façade ? quand elle te répond, tu souffle, amusé. C’est vrai que t’as pas trop le look d’un musicos, peut-être un peu plus de celui d’un barman, et encore, aux dires de la blonde, ce n’était pas tout à fait ça. « voilà voilà, maintenant tu sais pourquoi j'ai disparu. et je suis contente de l'avoir dit à quelqu'un, j'veux dire .. de le confier, le partager, ça fait du bien. » tu lui souris, en guise de réponse. A vrai dire, encore une fois, tu sais pas trop quoi dire. quand romane à des soucis, tu la réconfortes en l’emmerdant, ou alors tu sais dire les mots pour elle, tu la connais depuis plusieurs années déjà, vous vivez ensembles… mais maona, c’est pas ça. Parce que maona, tu la connais pas depuis longtemps, parce que maona, elle est toujours un peu une inconnue, même si elle t’a sans doute avoué le plus lourd secret qu’elle devait porter, et qu’elle connait le tient. Tu sais pas comment elle réagirait, tu sais pas ce qu’elle dirait, tu sais rien, en fait. Alors en faisant comme elle, en plaçant tes couverts croisés sur ton assiette, tu réponds, simplement, d’une phrase que tu espères être une passe partout. « t’as eu raison de ne plus venir au bar, puis, c’est pas un endroit à fréquenter trop souvent, de toutes manières. » tu fais une moue avant de continuer « si ça te fait du bien de le confier, alors tu peux continuer m’en parler. Ça me gène pas. » et tu souris. Puis elle te remercie, et là, tu ne fais qu’acquiescer. parce que tu penses pas à répondre, en fait. Tu aimes bien maona, elle est gentille, elle est sociable, elle sait rigoler, même si aujourd’hui c’était pas trop ça. parler avec maona te plait, ça t’occupe, ça te change de tes habitudes, et ça ne te dérange pas du tout. et elle, ça a l’air de lui faire du bien. Alors qu’est-ce que tu pourrais en dire, hein ? puis elle te pose cette question, qui te fait rire. Tu baisse les yeux, observe ton assiette et remercie le serveur qui vient les prendre, tout en vous confiant la carte des desserts, si seulement vous en prenez. Toi tu ne sais pas, tu regarderas la carte, mais quand tu n’auras pas à couper votre conversation. « je sais pas trop. Il y a dix ans, quand j’ai commencé sérieusement à jouer dans ma chambre, je me voyais sous les projecteurs, sur scène, mais c’est comme un rêve de gosse, tu vois ? maintenant, j’ai mûri, j’me rend compte des inconvénients que ça apporterait à ma vie, puis je me suis habitué à celle que je mène depuis que je suis dans le monde du travail. Alors peut-être qu’un jour j’avancerais, peut-être qu’un jour, j’assumerais, pour l’instant, c’est pas trop ça, je préfère encore m’améliorer, être sûr que c’est ce que je veux. » c’est sûrement la première fois que tu parles autant, que tu alignes autant de phrases d’affiler, sans vraiment prendre le temps de réfléchir, sans vraiment ne faire que sourire au coin ou faire la gueule, depuis que t’as dépassé le cap de l’adolescence. Mais ça te gênes pas plus que ça, ça te fait même du bien, en fait.

Tu ris un peu quand elle te dis que pourrais devenir son psychologue. Docteur Mordoh. Hum, ça sonnerait pas hyper bien, non. et puis, tu serais de très mauvais conseil. C’est mieux de rester un ami. Enfin, si seulement vous en êtes déjà, c’est assez complexe à déterminer, les amis. Toi, tu considères qu’un ami c’est quand on passe une phase de confiance mutuelle. Est-ce que, que vous sachiez l’un et l’autre un gros secret de l’autre, voulait signifier que vous vous faites confiance, et que vous êtes amis ? Sans doutes. C’est flou dans ta tête, puis, tu réfléchis pas trop à la question. « tu as raison, de prendre ton temps, de réfléchir, de ne pas te jeter dans la fosse aux lions aussi vite. même si je ne peux que t'avouer que ce que tu fais est réellement prometteur. ça a tout. que ce soit la musique, la mélodie, ou le sens. oui, je l'avoue une fois encore, j'aime beaucoup ce que tu fais. » tu souris à ses paroles, et en fait, tu peux pas t’en empêcher. T’aimerais bien, les les compliments, ça fait toujours plaisir. T’en a pas vraiment l’habitude, en fait, pas en face, en tout cas. Et qu’elle te dise ça, en sachant que c’est toi, ça te fait plaisir. « merci, c’est vraiment sympa. mais faut que je trouve encore comment m’améliorer. trouver le truc en plus qui pourra tout changer. » tu réfléchis un peu, toujours. T’essayes de trouver un max de potes musiciens, tu veux t’enrichir culturellement, musicalement, tu veux apprendre des autres, tu veux même apprendre aux autres. On dit que ça permet de s’améliorer encore plus. De découvrir d’autres choses. Mais tu proposes jamais, parce que t’y penses pas forcément tous les jours, parce que t’as pas envie d’embêter les gens, parce que les gens qui savent que tu fais de la musique doivent se compter sur les dix doigts des mains. oui, sans aucun doute. Maona pose la carte, elle dit qu’elle ne veut pas manger plus, et t’es plutôt d’accord avec elle. Toi aussi, tu as bien manger. Et puis, de base, t’avais pas spécialement faim. Mais tu te dis que pour continuer à profiter encore un peu de cette vue, une dernière chose ne serais pas de refus. Tu penses à un café. T’aurais pu penser à une bière, fraiche, mais finalement, le café c’est mieux. autant par respect pour Maona, que parce que t’as pas forcément envie de te retrouver avec de l’alcool dans le sang alors qu’il est midi passé, et que tu t’es réveillé y’a pas si longtemps que ça. bouffer salé, c’est pas dérangeant, l’alcool, ça l’est un peu plus. « un café ? » tu proposes à Maona, en reposant tes coudes sur la table et en joignant tes mains. T’aimerais que vous parliez d’elle, t’aimerais en savoir plus, mais pas sur son alcoolisme. Sur sa vie, sur ses passions, sur ce qu’elle aimerait faire. Mais tu sais pas comment aborder l’un de ces sujets, t’as peur d’être maladroit. « bon, et si on parlait de toi ? t’aimerais faire des trucs particuliers, dans les mois ou les années qui arrivent ? »