(numa) 7 years

t'as pas envie de te lever, t'es là à fixer ton plafond d'un regard vide, éteint. à quoi bon? à quoi bon bouger de ton lit? qu'est-ce que tu vas faire de toute façon? allumer ton pc? manger? traîner? manger. est-ce que t'as encore des trucs dans le frigo? t'en sais rien, t'as pas vérifié, si ça se trouve t'as plus rien. si t'as plus rien ça voudrait dire qu'il faut que tu sorte jusqu'en ville acheter de quoi te nourrir. t'aimes pas sortir de chez toi, ô que t'aimes pas ça. les gens qui grouillent, qui marchent lentement, qui parlent fort au téléphone, qui te bousculent et ne s'excusent même pas. t'aimais de moins en moins les gens, tous des parasites, tous des menteurs, des hypocrites. ils cachaient toujours leurs défauts, jouaient toujours la comédie. mais à quoi bon s'énerver, ils ne changeront jamais. tu te levas enfin, non sans un effort considérable et tu te traînas jusqu'au frigo. et évidemment il ne te restait pas de quoi manger pour les prochains jours. tu filas donc sous la douche, cinq petites minutes, puis enfila un simple jean, un pull et quitta ton petit appartement. tu ignoras la concierge de l'immeuble quand elle t'adressa un signe de main et poussa la porte du bâtiment pour en sortir. de là, tu pris un taxi jusqu'au centre-ville. tu jetas ton billet au conducteur en descendant, ne prenant même pas la peine de lui lancer un merci. manquerait plus que ça, remercier ces escrocs. Tu te diriges vers le supermarché le plus proche, peu importe lequel, t'as pas besoin de grand chose, t'es pas un gros mangeur. tu passes les portes automatiques et commences à te trimbaler dans les rayons à la recherche de plats surgelés, ou de chips, ou de quoique ce soit qui puisse te rassasier sans trop d'efforts. t'attrapes une conserve de raviolis, comme toujours, puis tu reprends ta chasse. arrivé au rayon suivant, tu te prends deux-trois plats différents, puis au rayon encore après tu prends des chips; t'as tout ce qui te faut. dès fois tu te demandes comment t'es encore en bonne santé avec cette alimentation depuis quelques années, tu te dis que tu vas commencer à cuisiner et à te nourrir un peu mieux, puis tu te dis finalement que c'est du temps perdu dans ta recherche de ton précieux, ta perfection. toujours ce mot là au bord de tes lèvres, inlassablement, et tu ne peux rien y faire, t'es devenu comme ça, marqué par les mots de ton taré de père. tu poses tes articles à la caisse, t'attends qu'on t'annonce le prix et tu payes, sans un mot. on te propose des sacs, tu hoches la tête. tu t'apprêtes à ressortir, rentrer chez toi, pourtant un jeune homme croise ton chemin et un air de déjà-vu te retourne l'estomac. t'étais étonné, surpris. était-ce possible? il n'y avait qu'un seul moyen d'en être sûr. « numa? » c'était stupide, c'était insensé, qu'est-ce que ton ami d'enfance ferait-il ici?

bon, ce n'est pas tout, mais tu sais que les courses ne vont pas se faire toutes seules, tu sais que c'est pas rory, ni même Sacha qui va aller les faire ... malheureusement, tu vas devoir t'y coller. puis c'est vrai qu'elles ont raison, c'est quand même plus logique ce soit toi puisque c'est tout simplement toi qui cuisine. Bref, ça leur convenait comme excuse, toi, beaucoup moins. tu avais une sainte horreur des supermarchés, parce que t'avais l'impression de perdre ton temps .tourner en boucle, pendant près d'une heure, sans jamais trouver le prix le plus bas. au final, tu ne faisais plus attention au prix et tu prenais les premières choses qui te venaient sous la main. Au fond, tu le sais, tu devrais te mettre au drive, tu devrais te mettre à ces courses en ligne, tu gagnerais du temps et de la patience. parce que ce que tu détestes, c'est te retrouver dans la mauvaise file d'attente. celle qui ne bouge pas, qui n'avance pas pendant que de chaque côté de toi, ça déroule à vitesse impressionnante, tu n'as jamais de chance avec ça de toute manière. tu hausses les épaules tout seul, avant d'entrer dans le supermarché. le bruit te donne déjà mal au crâne, la foule aussi, et encore plus les annonces micros qui bourdonnent dans ton esprit. qu'est-ce que tu fiches ici ... tu aurais du opté pour le Mcdo, une fois de plus. « numa? » c'est une voix plutôt douce, simple que tu entends. tu te retournes, parce que forcément en ayant toujours vécu dans l'coin, tu connais plus de la moitié des habitants de la ville. puis comme t'es sociale et que tu parles à tout le monde, on pourrait même dire que tu connais approximativement soixante-quinze pour-cent des habitants du coin. tu te retournes, enfin, tu tournes ton regard et ton nez à nez avec ... un faux inconnu. quelqu'un qui te dit quelque chose, mais où tu n'arrives pas à mettre de nom. rien. le vide, le néant. tu te demandes qui c'est, c'est bizarre. tu penses le connaître pourtant. « je ... désolé mais ... je te connais, je sais, mais je n'arrive pas à me souvenir. désolé, vraiment » tu te sens mal d'un coup, tu aurais presque envie de te cacher sous ton bonnet pour qu'il cesse de te regarder de la sorte.

il te reconnais pas. c'est pas tellement étonnant, ça doit faire.. quoi, une dizaine d'années? une quinzaine? tu ne savais plus tellement. en tout les cas, toi tu l'avais reconnu. il avait beaucoup changé, ce qui était normal au fond vu le laps de temps qui s'est écoulé depuis la dernière fois que tu l'as vu, mais tu l'avais reconnu. t'étais resté silencieux pendant tout un moment, l'examinant de la tête au pied. t'osais pas parler, t'aimais pas parler, pas en vrai. tout de même il le fallait bien. « liam. » t'avais juste donné ton nom, sans plus, peut-être que ça l'aiderait à se rappeler. tu t'étais vraiment pas attendu à la croiser là, tu le croyais encore en corse, tu le croyais perdu. le voir là, devant toi, tu savais pas pourquoi, mais ça te sortait un peu la tête de ton père. tu te rappelais des moments joyeux dans ta chambre, toi qui riais et lui qui se bidonnait au sol. rire, ça faisait combien de temps? même sourire? tu secouas la tête. t'avais plus l'habitude de ressentir des trucs comme ça, t'étais mal à l'aise, tu savais plus quoi dire, encore plus que d'habitude. « tu sais, liam, de corse.. on était.. amis. » c'est probablement le seul ami que t'avais gardé sur le long terme à l'époque, t'étais pas très friendly si on pouvait dire. ça te faisais bizarre de ré-employer ce mot, il sonnait tellement bizarre dans ta bouche. t'avais encore tes courses dans tes mains, t'étais pas bien sapé, t'avais pas prévu t'arrêter faire la conversation, tu t'arrêtais jamais faire la conversation, mais il semblerait que tes plans de rentrer vite fait dans ton appartement avaient compromis tes plans. « ... qu'est-ce que tu fais là? je pensais pas te recroiser un jour, et certainement pas ici. » ça c'était une question qui te démangeait. tu le pensais encore en corse, tu savais pas qu'il était rendu à biarritz; évidemment que tu savais pas tu lui avais pas parlé depuis des années. t'étais interloqué. « tu me reconnais maintenant au moins? »

« liam. tu sais, liam, de corse.. on était.. amis. » et tu captes, ça fait une étincelle dans ton cerveau, comme si deux fils venaient de se toucher, comme si deux fils entraient en contact, comme s'ils venaient enfin de se contacter. Liam. Oui, bien sûr, liam, tu le connais maintenant, tu te souviens. tu traînais avec lui quand tu étais plus jeune, vous étiez deux amis, toujours l'un chez l'autre jusqu'à ... jusqu'à ... « ... qu'est-ce que tu fais là? je pensais pas te recroiser un jour, et certainement pas ici. tu me reconnais maintenant au moins? » tu hoches la tête, doucement. « mais oui ! Bien sûr liam, putain, j'suis désolé mec, j'ai mis du temps à capter, à m'en souvenir. » tu tentes un sourire amical, alors que tu revois tes parents, qui t'interdisent de le revoir, parce que son père n'est pas " un type sympa", c'était peu dire. il avait tué sa mère, Liam ne devait pas être insensible à cette histoire, il avait du en baver, tu n'avais plus eu de nouvelle une fois que son père avait été arrêté par les flics. tu t'en rendais compte maintenant, qu'il n'avait pas tant changé que ça. « oh bah je vis ici, depuis presque toujours quoi. c'est ma ville, où je suis né tu vois, et toi alors ? tu fais quoi dans l'coin? je pensais pas non plus qu'on allait se recroiser, comme quoi,les choses sont bien faites finalement. » oui ? non ? peut-être, tu essayais d'être le plus à l'aise possible devant cette situation qui te prenait largement de court, qui te laissait quelque peu en plan. tu avais du mal à tout assimiler aussi vite.

t'étais vraiment pas habitué à toute cette familiarité, t'étais encore plus mal à l'aise qu'il y a quelques instants. tu le vois sourire et tu lui réponds pas un hochement de tête. toi et tous ces petits gestes affectifs ne sont plus très familiers, t'as plus l'habitude de sourire au gens, t'as plus l'habitude de voir des gens. numa c'était comme un petit frère avant. il est un peu plus jeune que toi, environ deux ans si tu te souviens biens, et pourtant vous étiez tout le temps fourrés ensemble. c'est là que tu te rends compte que t'as vachement changé depuis la dernière fois que tu l'as vu. il s'est passé tellement de choses entre temps, en même temps. ce que rajouta ton interlocuteur installa un plus gros malaise que tu ressentais dans le creux de ton estomac. allez, c'est pas si difficile. t'essayes de faire un sourire en coin mais ça ressemble plus à un sourire de fou à lier. putain, comment les gens font ça normalement? pourquoi t'y arrives plus? « ah, oui, je crois que je me souviens maintenant que tu m'avais dit que t'étais né ici. » t'attrapes un panier sur ta droite pour y poser tes sacs, tu commences à en avoir assez de porter ces poches. tu te fait craquer les doigts et tu passes une main dans tes cheveux. tu te sens ridicule, débile, t'es là près de la sortie d'un supermarché à parler à... ton ami d'enfance, sur lequel t'es tombé dessus au hasard. tu voulais juste acheter de quoi manger et retourner te poser dans ton canapé, comment t'en est arrivé là? c'était tellement bizarre. « bah, je suis là depuis presque deux ans, je suis venu m'installer après l'université, j'avais vraiment besoin de... quitter la corse. » ouais, t'en avais vraiment besoin, de laisser les événements derrière toi, t'éloigner de ton père. en parlant de lui, tu te demandes ce qu'il devient. il doit toujours croupir dans sa cellule de prison. tu le plains pas, tu préfères quand il est loin de toi. déjà qu'une seule de ses phrases à réussi à te faire changer de mode de vie et de caractère alors si en plus tu devais le supporter au quotidien qu'est-ce que tu deviendrais. putain, ça bouillonne dans ton crâne, tu penses à tout en même temps, t'es fou. « oui, on peut dire ça comme ça, les choses sont.. bien faites. » c'est discutable, mais t'avais pas envie de parler de ta vie, t'es déjà assez embrouillé comme ça. « tu te portes bien à ce que je vois, ahah », quel rire forcé, « tu bosses par ici? ou tu fais des études? »

tu l'observes, légèrement en douce, ne sachant pas réellement quoi penser. tu ne pensais pas revoir Liam un jour, tu ne pensais pas non plus, qu'il serait bien dans sa peau, après tout ce qu'il lui ait arrivé. tu ne sais pas où tu en serais à sa place, alors tu le respectes énormément sur ce point. il a du courage, pour avancer, à côté de ça, toi, t'a putain de jambe, c'est absolument rien. tu restes entouré, par des gens que tu aimes, alors oui, tu le respectes, tu ne le juges pas. « ah, oui, je crois que je me souviens maintenant que tu m'avais dit que t'étais né ici. » tu hoches simplement la tête, en guise de réponse, ne sachant pas tellement quoi ajouter. « bah, je suis là depuis presque deux ans, je suis venu m'installer après l'université, j'avais vraiment besoin de... quitter la corse. » tu comprends, évidemment, ses raisons, tu sais, qu'il a eu raison de faire ça, t'as hésité, un moment à quitter Biarritz pour te remettre de la perte de ta jambe, mais tu ne l'as pas fait finalement. tu es resté là. « ah oui, ça ne fait jamais de mal de voir d'autres paysages, d'autres personnes, puis faut dire que tu as de la chance, il y a presque le même temps ici qu'en Corse.» évidemment, que c'est à cause de son père, de ce qu'il s'est passé, mais tu ne peux décemment pas le balancer comme ça. alors tu tentes d'autres alternatives, d'autres raisons, des choses moins glauque. « oui, on peut dire ça comme ça, les choses sont.. bien faites. tu te portes bien à ce que je vois, ahah tu bosses par ici? ou tu fais des études? » tu hoches la tête, une nouvelle fois. « oui, oui, ça va super ! je bosse par ici, je suis commis de cuisine à l'Atelier, un restaurant du coin et puis je donne des cours de surf de temps en temps, mais de moins en moins finalement, je suis souvent débordé par le boulot, alors quand j'ai le temps de mettre les pieds dans l'eau, je le fais plutôt pour moi.»

ses dernières paroles ne t'étonnent pas. ça ressemble bien fort au numa que t'as connu là-bas en corse. tu crois te souvenir qu'il aimait beaucoup aller à la plage, l'eau, le sable, et qu'il parlait de surf fréquemment. maintenant il peut en faire, les belles étendues aquatiques de biarritz sont beaucoup plus favorables à ce genre d'activités que la corse. enfin, t'en savais rien au fond, t'as jamais été à la plage. ouais, t'habites dans une ville balnéaire, avec plein de sable à quelques pas de chez toi, mais t'y as jamais été. t'es bizarre comme type. tu te rends comptes que t'avais baissé les yeux et que tu regardais le sol perdu dans tes pensées depuis maintenant une bonne minute. c'était pas ton genre ça, penser beaucoup, penser dans le sens nostalgique, repenser au passé, ce passé que t'essayais de chasser à tout prix. tu relèves donc la tête et fixe numa dans les yeux. « ah, c'est sympa. » tu cherches pas spécialement à couper court à la conversation, mais tu sais vraiment pas trop quoi rajouter, et t'aimerais encore moins avoir à parler de toi-même. tu sais plus quoi dire d'autre, tu sais jamais quoi dire. t'es nul, t'es incapable de te socialiser un minimum. pourtant ça te dérange pas plus que ça au quotidien, quand t'es bien tranquille dans ta piaule. mais là ça te déstabilise, et t'aimes pas être déstabiliser. pourtant t'essaies de relancer cette conversation presque morte. « je suis désolé de t'avoir laissé sans laisser de nouvelles y a quelques années. » t'aurais plus lui donner mille raisons mais tu voulais pas t'étaler, lui adresser des excuses t'étais déjà bien assez bizarre pour que tu aggraves ton malaise. tu rattrapes tes sacs, t'es prêt à t'en aller, mais tu peux pas juste partir comme ça, après toutes ses années sans avoir vu celui que t'aurais pu décrire comme meilleur ami du temps où tout allait bien, où ta vie n'était pas un cauchemar dans lequel tu étais piégé comme maintenant. dans ce genre de situation tu t'en rendais compte à quel point ton tueur de père te manipuler même depuis sa cellule de prison, mais t'y peux rien, tu te sens obligé de continuer ce que tu fais. « je me souviens, tu me parlais toujours du surf avec des étoiles dans les yeux. je suis... content pour toi que tu puisses enfin en pratiquer comme tu l'as toujours souhaité. » t'avais cependant un petit truc qui te trottait dans l'esprit. « par contre faut m'expliquer comment t'as fini commis de cuisine parce que dès qu'on te foutait au fourneaux c'était une catastrophe y a quelques années. »

« je suis désolé de t'avoir laissé sans laisser de nouvelles y a quelques années. » tu hoches la tête, pour commencer. il avait eu bien des raisons, de ne pas avoir donné de nouvelles, après tout, il avait eu bien des soucis dans sa vie. entre son père, sa mère, la justice, tu n'osais pas imaginer la vie qu'il avait eu. dans ces instants, tu te rends compte que tu n'es pas mal loti toi, que tu as eu de la chance, ou quelque chose de ce genre, puisque finalement tu as eu une enfance plutôt très heureuse. entouré de ta famille, de ton frère, de tes soeurs. tu n'avais jamais manqué de rien au fond. « oh, ne t'excuse pas, tu sais, le temps a fait les choses, puis je n'ai pas cherché à en avoir non plus, ni même à en donner, c'était une autre époque, c'était avant, t'en fais pas pour ça .» parce que tu avais autant de tort que lui, fais autant d'erreurs que lui. après tout, qui étais-tu pour le juger, personne, tu ne le pouvais décemment pas. ça serait se foutre de sa gueule, légèrement quand même. « je me souviens, tu me parlais toujours du surf avec des étoiles dans les yeux. je suis... content pour toi que tu puisses enfin en pratiquer comme tu l'as toujours souhaité. par contre faut m'expliquer comment t'as fini commis de cuisine parce que dès qu'on te foutait au fourneaux c'était une catastrophe y a quelques années. » tu éclates de rire, c'est vrai que t'as jamais été un cordon bleu, jusqu'à ce que ta vie change radicalement. tu lui souris, simplement avant de répondre. « je oui, c'est sûr qu'avant, je n'étais pas le plus doué, c'est sûr disons que la vie a fait en sorte que je n'ai pas le choix. j'ai appris sur le tas, alors que je ne pouvais plus vraiment sortir de chez moi et voilà, je bosse maintenant dans un resto gastronomique, comme quoi, rien n'est jamais définitif ou décidé. »